Les critiquesLes extraits

A l’abri de rien

Avec À l’abri de rien, Olivier Adam frappe une nouvelle fois très fort.

Marie est au chômage. Depuis peu. Un drame ? Pas vraiment. Juste une pierre de plus dans le sac de sa vie déjà bien lourd, malgré la présence de son compagnon et de ses deux enfants. Elle habite dans une ville du Nord de la France. Là où le travail n’est plus. Là où les immigrés en provenance de l’est de l’Europe et plus loin encore se terrent, en attendant le moment propice pour rejoindre l’Angleterre. Ces immigrés, Marie ne les connaît pas. C’est à peine si elle les regardait avant. Pourtant, sans savoir vraiment pourquoi, elle viendra soutenir ceux qui leur fournissent de quoi se nourrir, découvrant un monde qu’elle n’imaginait pas. Un monde d’un extrême dénuement et d’une violence inouïe régulièrement « visité » par la police qui se défoule sur ces parias de l’humanité.  En quête de sens – comme la plupart des personnages qu’Olivier Adam nous donne à connaître – Marie se sentira revivre dans ce don aux autres, flirtant avec la folie, mettant sa vie en danger.

Livre coup de poing, A l’abri de rien n’évite rien au lecteur. Le quotidien, sa morosité, sa pauvreté parfois, y sont disséqués avec une minutie incroyable, un regard acéré qui fait mal. Impossible de ne pas se laisser emporter par Marie, ses peurs, ses espoirs et ses réactions aussi déroutantes que violentes et inattendues. A l’abri de rien me rappelle à la fois la thématique chère à Laurent Gaudé qu’il a si bien décrite dans Eldorado et le magnifique film de Philippe Lioret, Welcome, à l’écriture duquel Olivier Adam a participé. Si, comme moi, vous les avez appréciés, vous devriez aimer ce livre sur lequel plane l’ombre du camp de Sangatte, fermé en 2002. A l’époque, un certain Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, déclarait que la fermeture de ce centre d’accueil pour réfugiés allait « régler » le problème. En réalité, la fermeture a fait naître une multitude de camps de fortune dans le Calaisis et les descentes musclées d’hommes en uniforme et matraque n’y changent rien.

Extrait, page 65 : « Il n’était pas loin de quatorze heures quand les derniers réfugiés s’en sont allés. Ils partaient comme ils étaient venus, par petits groupes et muets, reposés un peu mais abattus déjà de retourner à la rue, aux trottoirs, à la boue. Certains nous saluaient d’un signe de tête, d’un clin d’œil. D’autres passaient devant nous sans un regard, sans le moindre mot. Jallal était parmi eux et ses épaules flottaient sous son blouson de cuir râpé aux coudes, avec des tâches de peinture blanche. Il m’a frôlée et j’ai prononcé son nom. Il est resté un moment sans bouger, à quelques mètres devant moi. Il ne s’est pas retourné, ni rien. Il m’a juste attendue. Les autres se marraient, lui balançaient des trucs dans leur langue, des trucs que je ne pouvais pas comprendre. Je me suis approchée de lui. Dans mon poing je serrais un billet froissé.

– C’est pour hier, je lui ai dit. Yesterday. To thank you.

Comme ça avec mon accent tout pourri.

Ses yeux presque noirs, son regard d’aigle alors, ça m’a transpercé. Il avait toujours sur le visage cette expression indéfinissable. Il n’a pas voulu de mon billet. » Olivier Adam.

En prime, un documentaire sur les migrants :

[dailymotion id=x9xsqd]

Articles similaires

La photo de la semaineLes extraits

Demain

Je reproduis ci-dessous un texte d’Anne-Marie Royer-Pantin, extrait de son livre L’art des instants heureux. Un texte d’une grande douceur, à la fois poétique et empli de promesses. « Demain sera…
Lire la suite