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Derrière les lignes ennemies de Marthe Cohn

Beaucoup de livres ont été édités sur la seconde Guerre Mondiale et ses atrocités. J’en ai lu quelques uns, traités sous un angle historique par des auteurs brillants mais n’ayant pas vécu cette guerre. Si cela n’enlève rien à la qualité de leurs écrits, il y manque sans doute ce qui fait que Derrière les lignes ennemies est aussi poignant. Ce témoignage est celui de Marthe Cohn, de son nom de jeune fille Hoffnung Gutglück, deux mots qui, en allemand – cela ne s’invente pas –, signifient « espoir » et « bonne chance ». Née en 1920 à Metz, française de confession juive et parlant couramment allemand, elle a attendu d’avoir 80 ans pour s’atteler à ses mémoires, sans doute pressée par la maladie qui grignotait l’un de ses frères. Il était temps pour elle de témoigner. Derrière les lignes ennemies est donc un livre écrit à la première personne. Il retrace la vie de Marthe Hoffnung Gutglück depuis ces premières années jusqu’aux terribles événements qui vont frapper l’Europe d’abord avant d’évoluer vers un conflit mondial. Marthe Cohn n’a heureusement pas connu les camps d’extermination nazis. Elle a en revanche connu la peur permanente d’être démasquée par la Gestapo, les départs soudains pour une autre ville en pleine nuit pour échapper à des rafles, le port de l’humiliante étoile jaune, les privations de toute sorte, le froid, la faim, la douleur de la séparation d’avec les siens. Mais elle a aussi connu des moments de partage intense, de soutien inattendu de la part de non juifs. C’est tout cela qu’elle raconte en plus de sa fierté d’avoir pu servir la France en tant qu’espionne à partir de 1944. Cette femme a eu un courage incroyable, époustouflant, guidée par sa rage de vivre et son refus de l’injustice. J’ai littéralement dévoré ce livre. Quatre jours durant, j’ai « vécu » avec elle si je puis dire, j’ai quitté 2012 pour ces années de guerre, littéralement absorbée par son histoire et celle de sa famille.

Marthe Cohn est toujours vivante. Elle vit aux États-Unis et est revenue en mars dernier à Metz pour témoigner de ces années de guerre en faisant le tour des collèges et lycées, à l’instar de Lucie Aubrac.

Extrait, page 119 : « Le jour tombait. Passer à travers champs aurait été moins dangereux mais c’était impossible, à cause de la bicyclette et de ma grand-mère. Exposés aux regards, nous devions remonter une rue du village. Nous progressions lentement et n’importe quel imbécile aurait compris que nous tentions de passer la ligne de démarcation. C’était extrêmement risqué mais nous n’avions pas le choix. La rue ne faisait pas beaucoup plus de cinq cent mètres et il ne me restait plus qu’à espérer qu’on ne serait pas repérées par une personne malveillante qui préviendrait les autorités avant que nous ayons rejoint la zone libre.

A un moment donné, la rue tournait à gauche. La ligne de démarcation était juste devant nous. Mon cœur battait à tout rompre. La pensée de mon père, mes sœurs et Jacquie endurant des tourments que je n’osais imaginer dans une grange des environs me rendait physiquement malade. Mes genoux et mes mains tremblaient, j’évaluais dans ma tête les terribles conséquences de ce que j’avais fait. J’étais terrorisée et trempée de sueur. Alors que nous traversions le premier espace ouvert à une lenteur désespérante, je vis d’humbles maisons, çà et là au bord de la route, appartenant à des paysans qui menaient une existence morne et difficile. La plupart des jeunes gens de leurs familles étaient prisonniers en Allemagne ou avaient fui vers le sud. Privés de leurs fils, ils continuaient de cultiver leurs champs du mieux qu’ils pouvaient, et la plus grande partie de leurs récoltes était confisquée par l’occupant. Si on avait refusé le droit d’exister aux juifs, eux survivaient de ce qu’ils pouvaient soustraire à la cupidité des Allemands » Marthe Cohn.

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