Les p'tits nouveaux!

Indignez-vous!

Depuis le mois d’octobre, un livre d’à peine 30 pages, plus fin qu’un cahier d’écolier, fait fureur en librairie. C’est simple, il était fort difficile d’en trouver à Noël, quelle que soit la librairie. Ce livre est celui de Stéphane Hessel, diplomate et résistant. A 93 ans, il nous donne l’occasion de nous arrêter sur le monde actuel, un monde aux contours de plus en plus flous, qui avale ses habitants dont un grand nombre sont plus préoccupés par l’avoir que par l’être. Un monde dans lequel les inégalités s’accroissent, rendant plus riches ceux qui le sont déjà et appauvrissant plus encore ceux qui n’ont déjà pas grand-chose. De quoi s’indigner!

Je reproduis ci-dessous une chronique tirée du journal Le Monde du 14 décembre dernier et écrite par Gérard Courtois. Un peu longue à lire sans doute sur un écran d’ordinateur, elle est néanmoins très bien écrite et donne à réfléchir. Un joli cadeau en soi.

Stéphane Hessel, ou la leçon d’indignation

Avouons un brin de mauvaise conscience quand c’est un monsieur de 93 ans qui nous interpelle ainsi :  » Le motif de base de la Résistance était l’indignation. Nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l’héritage de la Résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! « 

L’embarras n’est pas moindre quand l’intrépide vieux monsieur, Stéphane Hessel, ancien de la France libre, déporté à Buchenwald et Dora, corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, ajoute :  » Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie. Je vous souhaite à tous, à chacun d’entre vous, d’avoir votre motif d’indignation. C’est précieux. «  (Indignez-vous !, Indigène Editions, 32 p., 3 euros, déjà tiré à plus de 200 000 exemplaires.)

De fait, il suffisait, ces derniers jours, de se baisser pour les ramasser, les sujets d’indignation. Prenez cette désormais fameuse enquête PISA, menée par l’OCDE depuis dix ans dans une quarantaine de pays et qui évalue les compétences de base des élèves de 15 ans. Le résultat a été amplement commenté : l’école française régresse et obtient péniblement la moyenne (Le Monde du 8 décembre).

La cause globale de ces médiocres performances est claire : notre système scolaire ne donne pas les mêmes chances à tous, il privilégie une petite élite et laisse sur le bord du chemin un nombre croissant de jeunes, notamment ceux dont l’origine familiale et sociale est la plus modeste. Or l’enquête PISA le démontre de façon éloquente : les sociétés les moins inégalitaires sont celles dont l’école est la meilleure. Ce n’est d’ailleurs pas une découverte. Comme le rappelle Stéphane Hessel, le programme du Conseil national de la Résistance, déjà, appelait à  » la possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction la plus élevée « , sans discrimination.

Et que croyez-vous que PISA produisit ? Rien. Le ministre de l’éducation nationale, Luc Chatel, assura que les réformes engagées depuis huit ans par la droite corrigent précisément les lacunes pointées par l’OCDE. Contre toute évidence. Et une mission parlementaire a conclu, après sept mois de travail, que la semaine scolaire de quatre jours – cette glorieuse exception française instaurée en 2008 – est une aberration. A la veille de la chute de Constantinople en 1453, les dignitaires de l’Empire byzantin se disputaient, ainsi, à propos du sexe des anges…

Après l’école, le logement. Dans la sixième économie mondiale, ce devrait être un droit élémentaire. C’est de moins en moins vrai. Les chiffres publiés il y a quelques jours par la chambre des notaires témoignent que le marché de l’immobilier ignore parfaitement l’intérêt général. Et chasse de Paris, comme des métropoles régionales, non seulement les familles populaires déjà reléguées dans les périphéries, mais aussi les classes moyennes, désormais incapables d’acheter des logements dont le prix moyen, en 2010, aura augmenté d’environ 20 % dans la capitale. Peu ou prou indexés sur les prix à l’achat, les loyers suivent cette course folle.

Là encore, chacun fait l’autruche. Le président de la République avait promis  » une France de propriétaires «  ; cette promesse a tout bonnement disparu de la brochure largement diffusée par l’Elysée en mai pour dresser le bilan de trois ans d’action. Il est vrai qu’une enquête récente de l’Institut d’épargne immobilière et foncière démontre que, si le taux de propriétaires a progressé parmi les ménages à hauts revenus (70 %), il stagne pour les classes moyennes (46 %) et régresse chez les ménages modestes (33 %) (Le Monde du 2 décembre).

De même, juré, craché, le gouvernement s’était engagé à construire 500 000 logements par an pour répondre aux besoins ; l’on peine depuis trois ans à dépasser les 350 000. Quant aux quelque 3,5 millions de Français mal logés ou sans logement, leur problème a été, selon l’expression qu’affectionne le chef de l’Etat,  » mis sous le tapis « .

Troisième exemple, troisième sujet d’indignation : la réaction du ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, au jugement du tribunal de Bobigny, qui a condamné, le 10 décembre, sept policiers à des peines de six mois à un an de prison ferme. Trois mois plus tôt, le 10 septembre, ils avaient pris en chasse un individu conduisant une voiture volée, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Au cours de cette poursuite, un gardien de la paix avait été percuté et blessé par une voiture de police. Que firent ses collègues ? Comme trois d’entre eux le reconnurent à l’audience, ils dressèrent un faux procès-verbal, accusant le voleur de voiture d’avoir volontairement foncé sur eux.

 » Dénonciations calomnieuses «  et  » faux en écritures publiques « , jugea, à bon droit, le tribunal. Libre au parquet, ce qu’il a fait, de faire appel de la peine de prison ferme infligée aux policiers coupables. Mais entendre le ministre de l’intérieur déclarer une première fois, puis confirmer – et  » assumer «  – que  » ce jugement peut légitimement apparaître comme disproportionné «  relève d’une ahurissante confusion des rôles. Le respect des décisions de la justice de son pays devrait être la première règle d’un ministre de la République. Encore faudrait-il que celle-ci fût  » irréprochable « , comme cela fut également promis en 2007.

Le creuset républicain de l’école négligé, le droit au logement oublié, la justice vilipendée : voilà bien trois domaines où l’Etat ne peut invoquer  » la faute à la crise  » pour justifier son inaction ou son laisser-faire. Il est trop commode, ensuite, de s’alarmer de la menace de l’extrême droite. Outre ses pulsions xénophobes, que le pouvoir actuel épouse trop souvent, l’audience du Front national se nourrit de cette impuissance publique. Laissons Stéphane Hessel conclure :  » Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers. « 

Gérard Courtois.

Extrait du journal Le Monde du 14 décembre 2010.

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