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La grand-mère de Jade de Frédérique Deghelt

La grand-mère de Jade de Frédérique Deghelt

Jade, trentenaire parisienne, décide d’accueillir sa grand-mère savoyarde, Jeanne, dans son appartement alors que les enfants de cette dernière la destinent à la maison de repos. C’est en quelques traits le résumé de La grand-mère de Jade de Frédérique Deghelt, journaliste et réalisatrice de télévision. Le reste est savoureux, tout en nuances, en sensibilité et en délicatesse. Car au fil des pages, ce ne sont pas une petite-fille et une grand-mère qui vivent ensemble et apprennent à se connaître que l’on découvre mais deux femmes. L’une a trente ans, vit avec son temps – c’est-à-dire vite ! – tout en expérimentant une séparation avec l’homme qu’elle croyait être « fait pour lui », l’autre en a 80, est veuve, n’a jamais connu qu’un seul homme dans sa vie, savoure chaque minute que la vie veut bien lui offrir encore et a dissimulé un secret toute sa vie durant. Rencontre de deux mondes, interrogations sur le sens de la vie, sur ce pour quoi nous sommes ici bas, sur ce dont on hérite tant sur le plan culturel que familial. Il en ressort un livre touchant, profond, qui confronte chacun de nous à ses croyances sur l’autre, à la vision qu’il a de l’autre, cet être à la fois si proche et si mystérieux, qu’on aime à enfermer dans une fonction, un rôle pour éviter de voir ce qu’il est entièrement et surtout en dehors de nous, de notre présence, de notre existence.

Extrait, page 200 : « Jade ne trouva pas triste d’être ce soir-là la petite mère de sa grand-mère. Elle se souvenait d’avoir entendu parler de ce désespoir de devenir soudain le parent de son parent, de s’occuper de ces vieux bébés qu’on doit choyer et qui n’inspirent plus que de la pitié. Ces descriptions se terminaient toujours par « si c’est pas malheureux d’avoir été jeune pour en arriver là ». Mais ce que Jade trouvait malheureux, c’était d’avoir pensé un jour qu’on était autre chose que ça : ce petit corps fragile voué à disparaître. Elle avait accompagné Mamoune jusqu’à son lit, lui avait massé doucement les pieds à l’huile d’amande douce. Elle l’avait aidée à enfiler sa chemise blanche en coton brodé. Chaque geste avait la lenteur de son âge. Et Jade, qui ne savait pas vivre autrement qu’en courant, s’était mise au pas de la tendresse. Elle l’avait serrée dans ses bras et tout ce petit cérémonial, qui ressemblait selon Mamoune à celui d’une reine, avait distillé des minutes d’or sur la nuit à venir. Ce qu’elle avait lu dans le regard de sa grand-mère en lui posant un dernier baiser sur le front avait balayé de honte ses anciennes peurs. Mamoune l’avait rappelée avant qu’elle ne ferme la porte pour la remercier d’avoir partagée avec elle toutes ces histoires auxquelles elle n’entendait plus rien, mais qui, par sa bouche, avait-elle dit, lui rendait un chant plus juste du monde dans lequel sa petite-fille vivait. Et Jade s’était à nouveau demandé comment cette femme avait bien pu se taire pendant toutes ces années, elle qui avait tant à dire. » Frédérique Deghelt.

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