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Les chaussures italiennes d’Henning Mankell

Les chaussures italiennes-Henning-Mankell

Sur une île de la Baltique, un ancien chirurgien vit éloigné des hommes et du tourbillon de la vie, avec pour seule compagnie, une chienne et une chatte. De temps à autre, Jansson, le facteur hypocondriaque, lui rend visite bien qu’il n’ait jamais aucun courrier à lui remettre. C’est ainsi que Fredrik Welin, 66 ans, s’achemine doucement vers la fin de sa vie, notant chaque jour dans son calepin, la température de l’eau et le temps qu’il fait. Jusqu’à ce qu’une femme, en laquelle il reconnaît son amour de jeunesse qu’il a abandonné quarante ans plus tôt, débarque, à l’improviste, sur son île avec son déambulateur. Atteinte d’une maladie incurable, elle lui demande de tenir sa promesse…

D’Henning Mankell, je n’avais lu que des polars mettant en scène le célèbre commissaire Wallander. Avec Les chaussures italiennes, je découvre un auteur sensible qui emmène, avec brio, son lecteur dans des pérégrinations insoupçonnées et un questionnement infini sur le sens de la vie, les rencontres que l’on fait, celles qu’on aurait pu faire, celles auxquelles on met un terme, celles qui nous dépassent et nous submergent, celles qu’on a ratées. Le rythme est lent à l’image de la vie qu’on peut mener en solitaire sur une île habitée par un seul être humain et deux animaux domestiques. Une ambiance magique et propice à la réflexion et à l’introspection. Une belle histoire assurément, touchante, qui nous rappelle – si le lecteur n’en était pas tout à fait convaincu – qu’il est urgent de vivre et de dire et que chacun d’entre nous aura l’éternité pour regretter.

Extrait, page 30 : « Une fois rentré à la maison, je me suis remis à mon puzzle, qui a pour motif un tableau de Rembrandt intitulé La Ronde de nuit. Je l’ai gagné à une loterie organisée par l’hôpital de Lulea, où j’étais à l’époque un tout jeune chirurgien qui cachait son manque d’assurance derrière une large façade d’autosatisfaction. C’est un puzzle difficile, vu que le motif est sombre. Aujourd’hui je n’ai réussi à placer qu’une seule pièce. Je me suis préparé à dîner et j’ai mangé en écoutant la radio. Le thermomètre était descendu à moins vingt et un degrés. Le ciel noir, dehors, était limpide ; avant l’aube il ferait encore plus froid. On s’acheminait, semblait-il, vers un record de basses températures. Avait-il jamais fait aussi froid dans l’archipel ? L’un des hivers de la Seconde Guerre, peut-être ? J’ai résolu d’interroger Jansson, qui est bien informé sur ce genre de sujet.

Quelque chose me rendait inquiet.

J’ai essayé de m’allonger pour lire. Un ouvrage sur l’arrivée de la pomme de terre dans notre pays, que j’ai déjà lu plusieurs fois, sans doute parce qu’il ne recèle aucun danger. Je peux tourner les pages sans être assailli par un désagrément imprévu. Vers minuit, j’ai éteint. Mes animaux s’étaient déjà endormis pour la nuit. Les rondins des murs grinçaient et craquaient. J’ai essayé de parvenir à une décision. Fallait-il continuer à garder ma forteresse ? Ou m’avouer vaincu et tenter d’utiliser à bon escient le temps qu’il me reste peut-être à vivre ?

Je n’ai pris aucune décision. Je suis resté étendu, à contempler l’obscurité au-dehors en pensant que ma vie allait continuer comme avant. Aucun changement en perspective.

C’était le solstice d’hiver. La nuit la plus longue et le jour le plus court de l’année. Par la suite, je penserais souvent que cela avait un sens dont je n’avais pas eu conscience sur le moment. Ç’avait été une journée ordinaire, sans plus. Un jour où il avait fait très froid et où une mouette morte et deux bandes réfléchissantes de la Poste gisaient dans la neige près de mon ponton gelé. » Henning Mankell.

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