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Moi bi-nationale

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Crédit photo : Fotolia | M-Studio

Je reproduis ici cette très belle tribune d’Ava Djamshidi, journaliste au Parisien Aujourd’hui en France et chroniqueuse sur France Inter entendue dans le 5/7 de la même radio ce matin même. Il n’est pas dans mon habitude de publier des textes de ce type sur mon blog, la ligne éditoriale du Kawa littéraire se voulant plus récréative que politique. Je fais une exception ce matin parce que ce que j’entends et ce que je lis depuis des semaines me heurtent profondément.

En écho à ce qu’écrit Ava Djamshidi, la France que j’aime est bi-nationale.

« Moi bi-nationale, tout à mon attachement à mon pays, je me suis d’abord dit qu’après tout, la déchéance de la nationalité, pourquoi pas. Les terroristes ne méritent pas d’être Français.

Parce que moi, bi-nationale, je n’ai pas tout de suite intégré que cette mesure ne concernerait que ceux qui, comme moi, ont deux passeports.

Je pensais pourtant être une Française comme les autres.

Moi bi-nationale, j’ai passé Noël avec mon père apatride et athé. Il est né dans un pays où on ne célèbre pas la naissance du Christ. Pourtant, dans ma famille, on le fête depuis toujours ce moment… parce que c’est un rite français. Mon frère, bi-national lui-aussi et lieutenant de police n’était pas avec nous ce soir-là. Il était d’astreinte jusque tard dans la nuit.

Après la traditionnelle soirée, j’ai dit au revoir à ma famille. En français. Parce que moi, bi-nationale, je ne parle pas la langue de mon père. Seule celle de Molière a le droit de cité chez nous.

Moi, bi-nationale, j’ai été élevée dans l’amour et la reconnaissance de mon pays, la France, qui a accueilli mes parents étrangers. On m’a appris à aimer ces bibliothèques et ces écoles uniques au monde, où on peut lire et apprendre gratuitement. On m’a appris à me lever quand retentit la Marseillaise. On m’a appris à être fière des valeurs de mon pays.

C’est vrai, moi, bi-nationale, j’avoue que j’ai un peu de mal avec certains plats traditionnels français. Je ne suis pas fan des rognons à la crème et préfère de loin la cuisine iranienne. Mais vous ne pouvez pas m’en vouloir pour ça. Parmi les plats préférés des Français, il y a bien le couscous, non?

Si elle est votée, la déchéance ne s’appliquerait que pour les bi-nationaux coupables d’actes terroristes. Ce qui n’est pas mon cas. C’est vrai que moi, bi-nationale, je n’ai rien à voir avec ces Français qui ont décimé 130 personnes le mois dernier. 130 victimes qui avaient mon âge, et qui ont été abattues dans des endroits que j’ai tous fréquentés et où j’aurais pu me trouver le 13 novembre dernier.

Contrairement à ces jihadistes, moi, bi-nationale, j’ai deux passeports. Eux n’en avait qu’un : et il était français. C’est vrai qu’ils le méprisent. Qu’ils vous méprisent. Qu’ils nous méprisent.

Mais franchement, qui peut penser que cette mesure va dissuader des terroristes de commettre leur crimes ? J’ai peur que comme moi, d’autres Français bi-nationaux, des Français qui aiment la France, qui y sont nés, et qui la respectent se sentent relégués eux-aussi. Or c’est la volonté des terroristes de fracturer notre société.

Depuis que j’ai saisi le sens de cette proposition, moi, bi-nationale, je me sens déclassée. C’est la première fois de ma vie. Je n’avais jamais sentie jusqu’à présent que j’étais une Française différente des autres.

Alors, moi, Française donc, j’aurais aimé que vous, président de la République, fassiez le choix de nous rassembler. Pas de nous diviser. »

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