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Quitter le monde

Quitter le monde de Douglas Kennedy

Le jour de ses 13 ans, les parents de Jane ne trouvent rien de mieux que de se couvrir l’un l’autre de reproches au restaurant. Après avoir laissé passer l’orage, Jane déclare avec froideur : « Je ne me marierai jamais et je n’aurai jamais d’enfants ». Le lendemain, Jane découvre que son père a quitté le foyer familial. Effondrée, sa mère ne cessera d’accabler Jane, la rendant responsable de ce départ soudain. Cette anecdote scellera la vie de Jane, coupable à jamais, quoi qu’elle fasse. La moindre parcelle de bonheur lui semble interdite. Malmenée, meurtrie par la vie, elle ne voit qu’une seule issue : quitter le monde. Mais est-ce aussi facile ?

J’ai adoré ce livre. Des trois que j’ai lus de Douglas Kennedy, celui-ci est peut-être l’un des plus aboutis. Douglas Kennedy nous régale avec son portrait au vitriol d’une Amérique bien pensante et pudibonde ainsi qu’avec ses incursions dans la littérature du XIXe siècle. Il excelle dans la mise sous pression de ses lecteurs. Point d’enquête policière (quoi que !) mais un thriller psychologique tout à fait prenant qui pousse le lecteur à tourner, tourner et tourner les pages. On y retrouve évidemment les thèmes chers à Douglas Kennedy : la culpabilité, le hasard (en est-il vraiment un ?), et la certitude que derrière chaque visage qui se veut bien lisse se cachent des blessures indicibles et des failles profondes. Les reconnaître et les accepter ne garantit pas l’absence de souffrance mais ouvre de nouvelles voies. A chacun de choisir. Jane, elle, a choisi.

Extrait, page 190 et 191 : « J’ai commencé à marcher. Heureusement, j’avais la brise dans le dos, même si le retour risquait d’être moins agréable. Elle était si forte qu’elle me poussait en avant. Tête haute, tâchant de garder les yeux grands ouverts malgré le froid, j’inhalais la vapeur d’embruns salés. Il n’y avait personne d’autre en vue et je me suis dit que si je me foulais la cheville, on ne me retrouverait probablement pas avant plusieurs jours ; à ce moment, j’aurais sans doute été transformée en bloc de glace… L’idée ne m’a pas paniquée, pourtant. C’était peut-être l’euphorie provoquée par la montée d’endorphines dans mon organisme soumis à cette température extrême, au milieu de cette immensité exaltante, ou bien vivais-je une sorte d’extase panthéiste devant la puissance incommensurable de l’ordre naturel, la manifestation de forces dépassant l’entendement d’une humanité souvent sans recours ? Ou, plus simplement, la brutalité du froid et la sombre majesté de ce paysage m’avaient soudain libérée de toutes les incertitudes qui encombraient ma vie. Quoi qu’il en soit, je me sentais légère, portée par les éléments et même, l’espace d’un moment, j’ai éprouvé un sentiment qui ressemblait au bonheur, la perception sans mélange d’être vivante ici et maintenant, dégagée du scénario souvent trop complexe qu’avait été mon existence. Au fond, n’était-ce pas cela, le bonheur ? Une parenthèse pendant laquelle, sans penser au passé ou à l’avenir, on arrive à s’enfuir de soi-même ? Plus de réminiscences venant vous hanter, plus d’appréhension qui ruinent votre sommeil : juste la redécouverte que l’instant présent est merveilleux… Avais-je besoin du froid coupant, du vent déchainé, de la détonation hypnotisante des vagues se brisant sur une plage déserte pour me rappeler qu’être au monde pouvait, en soi, vous rendre heureux ? » Douglas Kennedy.

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