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Un Vénitien anonyme

Un Vénitien anonyme de Donna Leon

C’est dans la torpeur d’un mois d’août à Venise que nous plonge cette nouvelle enquête du commissaire Brunetti. Un beau matin, près d’un abattoir de la banlieue de Venise, à Mestre, un équarrisseur découvre le cadavre d’un travesti. Défiguré, son identification est quasi impossible et la scène de crime ne présente que peu d’indices. Aidé du sergent Vianello, Brunetti ne tardera cependant pas à découvrir que l’homme au visage défoncé n’est autre que le directeur de la Banca di Verona. Une découverte qui mènera les deux policiers dans le rude milieu de la prostitution masculine sur fond de magouille financière.

Troisième roman de la série écrite par Donna Leon, Un Vénitien anonyme n’est sans doute pas le plus palpitant. Si la fin est intéressante dans la manière dont Brunetti s’y prend pour prouver la culpabilité d’une personnalité vénitienne, l’enquête traîne en longueur et mène le lecteur d’impasse en impasse. Donna Leon a cependant merveilleusement bien retranscrit l’ambiance d’un mois d’août à Venise, entre chaleur étouffante et odeurs nauséabondes qu’exhale le Grand Canal à cette période.

Extrait, page 27 : « Lorsque Brunetti quitta la pénombre de la questure, le soleil, dehors, lui tomba dessus comme une chape de plomb. Momentanément aveuglé par la lumière et ses reflets dans le canal, il prit à tâtons ses lunettes noires et les enfila. Il n’avait pas fait cinq enjambées qu’il sentait déjà la transpiration imbiber sa chemise et couler le long de son dos. Il tourna à droite, ayant décidé sur-le-champ d’aller prendre le quatre-vingt-deux à San Zaccaria, même s’il fallait pour cela marcher au soleil pendant une bonne partie du trajet. Les calli conduisant au Rialto avaient beau être toutes dans l’ombre des hauts immeubles, il lui aurait fallu le double de temps pour s’y rendre à pied, et l’idée de passer seulement quelques minutes de plus dehors lui était insupportable.

Lorsqu’il déboucha sur la Riva degli Schiavoni, il vit un peu plus loin, sur sa gauche, le vaporetto amarré au ponton et des gens qui en descendaient. Il se trouva alors confronté à un dilemme typiquement vénitien : soit il courait pour essayer d’attraper le bateau, soit il passait dix minutes sur l’embarcadère mouvant, pris en otage par le soleil, pour attendre le suivant. Il courut. Ses pieds martelaient déjà les planches de la rampe d’accès, lorsqu’il eut une deuxième décision à prendre : s’arrêter un instant pour composter son billet à la machine jaune, à l’entrée – et prendre le risque de rater le bateau – soit embarquer directement et payer un supplément de cinq cent lires. Puis il se souvint qu’il était en mission officielle et que, par conséquent, il se déplaçait aux frais de la ville. Le petit sprint de quelques dizaine de mètres avait suffi pour qu’il se retrouve inondé de sueur, et il préféra rester sur le pont pour offrir son corps au peu de brise créée par la nonchalante progression du vaporetto sur le Grand Canal. Il regarda autour de lui et vit les touristes à demi-nus, hommes et femmes en maillot de bain ou short, portant tout au plus un tee-shirt à col ouvert ; un instant il les envia, même s’il se savait incapable de se mettre dans une telle tenue ailleurs que sur une plage ». Donna Leon.

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