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À ce stade de la nuit de Maylis de Kerangal

Couverture à ce stade de la nuit de Maylis de Kearangal

« Écrire le paysage ». Un thème fixé par les organisateurs des Rencontres littéraires en pays de Savoie auquel a répondu Maylis de Kerangal en juin dernier, par À ce stade de la nuit. Essai littéraire sur ces endroits entre deux mondes, sur ces moments où la vie peut basculer… comme à Lampedusa, par exemple. C’est cette île italienne de 20 km2 qu’a choisi d’évoquer Maylis de Kerangal, terre de tous les changements possibles pour les migrants, dénués de tout et voulant croire à un eldorado européen. Ceux qui parviennent à y accoster sont le plus souvent refoulés. Les autres, la grande majorité des autres, s’inscrivent au panthéon de cette cohorte d’anonymes avalés par la mer. Au fil de son récit, sorte de mikado de mots et de sensations, Maylis de Kerangal ajoute d’autres images comme celle de Don Fabrizio, prince de Salina, rôle tenu par Burt Lancaster dans Le Guépard de Luchino Visconti, lui-même tiré du livre éponyme de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Au milieu du XIXe siècle, après le débarquement de Garibaldi en Sicile, Don Fabrizio assiste à la fin de la supériorité de l’aristocratie. Un monde s’efface pour un autre.

À ce stade de la nuit questionne chacun d’entre nous sur ce qui est et n’est plus, sur notre désir de fuir le monde dans une quête éperdue d’identité.

Extrait, page 7 : « Une cuisine, la nuit. L’unique lampe allumée crée au-dessus de la nappe un cône de lumière dorée que matérialisent les particules en suspension – une fois l’ampoule éteinte, je doute toujours de leur existence. Je suis rentrée tard et je traîne, assise de travers sur la chaise de paille, le journal étalé bien à plat et lentement feuilleté, le café du matin versé dans un mug, réchauffé au micro-ondes et lentement bu. Tout le monde dort. Je fumerais bien une cigarette. La radio diffuse à faible volume un filet sonore qui murmure dans l’espace, circule et tournoie comme le ruban de la gymnaste. Je ne réagis pas aussitôt à la voix correctement timbrée qui, inaugurant le journal après les douze coups de minuit, bégaye la tragédie sinistre qui a eu lieu ce matin, je perçois seulement une accélération, quelque chose s’emballe, quelque chose de fébrile. Bientôt un nom se dépose : Lampedusa. Il résonne entre les murs, stagne, s’infiltre parmi les poussières, et soudain, il est là, devant moi, étendu de tout son long, se met à durcir à mesure que les minutes passent – coulée de lave brûlante plongée dans la mer. » Maylis de Kerangal.

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