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De beaux lendemains de Russell Banks

Dans une petite ville au nord de l’Etat de New York, en plein hiver, un bus scolaire s’écrase au fond d’une gravière. Si la conductrice du bus est indemne, quatorze enfants périssent. Un drame qui plonge la commune de Sam Dent dans un climat infiniment lourd et triste, certains voulant à tout prix oublier, d’autres désirant comprendre pourquoi cela leur arrive, « à eux », d’autres encore portant plainte sur les conseils d’avocats new yorkais plus ou moins bien intentionnés. La force de cette histoire très dure – qui ne tombe cependant jamais dans le pathos – réside, à mon sens, dans la façon dont l’a narré Russell Banks. Elle est construite à partir des témoignages de quatre acteurs clés : Dolorès Driscoll, la conductrice du bus, sortie indemne de l’accident, Billy Ansel, seul témoin de l’accident dans lequel il perd ses deux enfants, Mitchell Stephens, un avocat new yorkais pour qui les accidents n’existent pas mais sont la résultante d’une série de négligences à démontrer et Nicole Burnell, adolescente à l’avenir prometteur, étonnante de maturité, présente à l’avant du bus au moment du drame dans lequel elle perd l’usage de ses jambes. A travers ces témoignages, c’est la vie quotidienne de la bourgade isolée et étouffante de Sam Dent que l’on découvre : les relations que chacun entretenaient les uns avec les autres, la face cachée des protagonistes qui tous, ont une raison précise de vouloir passer à autre chose ou, au contraire, de porter l’affaire en justice.

J’ai adoré ce livre et découvert un auteur. Né en 1940 dans le Massachusetts, Russell Banks a déjà commis une kyrielle de romans. Deux thèmes prédominent dans son œuvre : la recherche de la figure paternelle et la description de la vie des « petites gens » croulant sous le poids du quotidien. Adapté au cinéma par Atom Egoyan et couronné par le grand prix du festival de Cannes 1997, De beaux lendemains a également fait l’objet d’une pièce de théâtre d’Emmanuel Meirieu.

Extrait page 107, témoignage de Billy Ansel : « Les gens qui ont perdu leurs enfants – et je parle ici des gens de Sam Dent, moi-même inclus – se tordent en toutes sortes de formes étranges afin de nier ce qui est arrivé. Pas seulement à cause de la douleur de perdre quelqu’un qu’ils ont aimé – nous perdons des parents, des compagnons, des amis, et si douloureux que ce soit, ce n’est pas pareil – mais parce que ce qui est arrivé est si cruellement contre nature, si profondément opposé à l’ordre nécessaire des choses que nous ne pouvons l’accepter. Il semble incroyable, incompréhensible que des enfants meurent avant les adultes. C’est un défi à la biologie, ça contredit l’histoire, ça nie toute relation de cause à effet, c’est même une violation de la physique élémentaire. C’est le paradoxe absolu. Une communauté qui perd ses enfants perd son esprit. Désespérément, nous nous battions dans nos têtes de manière à lui trouver un sens. Chacun de nous à sa manière fouillait sa conscience de fond en comble à la recherche d’une explication plausible, tentant ainsi d’échapper à cet énorme néant noir qui menaçait d’engloutir notre univers entier. Je suppose que les chrétiens, et il sont nombreux chez nous, y sont arrivés les premiers, en tout cas les adultes, et j’en suis content pour eux, mais pour ma part, je ne pouvais pas m’en tenir là, et je pense que la plupart d’entre eux, en secret, ne le pouvaient pas non plus. Pour moi, l’explication religieuse n’était qu’une autre façon hypocrite de nier les faits. Pas aussi hypocrite, sans doute, que de prétendre qu’en réalité l’accident n’était pas un accident, que quelqu’un – Dolorès, la municipalité, l’Etat, quelqu’un – en était cause ; mais néanmoins une façon de nier. » Russell Banks.

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