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En vieillissant les hommes pleurent de Jean-Luc Seigle

Couv-En vieillissant les hommes pleurentBeau titre n’est-ce pas ? Si on ne m’avait pas offert ce livre, je pense que j’aurais pu l’acheter uniquement pour la poésie de son titre. Dans ce roman, Jean-Luc Seigle nous plonge dans la France des années 60, à quelques encablures de Clermont-Ferrand. Voilà d’abord Albert Chassaing, un taiseux. Comme tant d’autres, il travaille chez Michelin, « au noir », c’est-à-dire « à la gomme des pneus, la gomme en fusion ». Après ses 8 heures journalières, il retourne aux champs car c’est de là qu’il vient et rien ne lui donne plus de bonheur. Il y a ensuite Suzanne, la femme d’Albert. Plus jeune que ce dernier d’une quinzaine d’années, elle n’a de cesse de vouloir faire rentrer le monde moderne dans sa maison. Elle attend d’ailleurs, avec fébrilité, la télévision qu’elle a commandée pour y voir l’allocution du général de Gaulle ainsi que son premier fils, Henri, soldat en Algérie, interviewé dans un reportage sur la guerre. Le jour est tellement important pour elle qu’elle a demandé à un photographe de venir immortaliser ce moment. Enfin, il y a Gilles. Sa fierté. Lui n’est pas comme les autres se dit Albert. Car Gilles a montré très tôt un goût immodéré pour la lecture, dans une famille où personne ne lit. Albert est pourtant las de la vie et aimerait en finir. Il ne saurait dire quand tout a commencé. Peut-être à son retour de la guerre, après cinq ans de captivité en Allemagne. Fait prisonnier sur la ligne Maginot, il n’a jamais réussi à parler de ces années perdues mais il sent bien que plus le temps passe, plus son fardeau est lourd à porter…

J’ai beaucoup aimé ce livre tant pour le portrait que Jean-Luc Seigle dresse de la France des années 60 que pour le thème qu’il aborde : la question de la transmission, de ce qu’on laisse à ceux qu’on a aimés. Un livre à la fois sombre et lumineux, une ode à la vie teintée de désespoir.

Extrait, page 38 : « Moderne était le seul mot auquel Suzanne se référait après Dieu puisqu’elle ne ratait jamais la messe du dimanche. Elle était convaincue que la vie moderne était la meilleure réponse à ses prières, après les années de privations et d’efforts qu’elle avait endurées pendant la guerre et à la libération, juste après le retour de captivité de son mari. Chaque jour, Suzanne, mains jointes et manches relevées, bénissait le plus fervent messager des temps modernes, l’ange trop grand, à la voix chevrotante que Dieu avait envoyé à la France, le général de Gaulle, auquel elle ne faisait aucun reproche, pas même d’avoir envoyé son enfant en Algérie. Ce fut donc avec la plus grande application et la plus grande dévotion qu’elle se mit à détruire le monde d’avant-guerre pour tenter d’y rebâtir un monde nouveau. Rien à voir avec le Paradis de la Genèse, bien trop champêtre pour elle, et encore moins ce Paradis communiste auquel son beau-frère et sa belle-sœur croyaient ; Suzanne mettait tous ses espoirs dans un monde qui, justement, n’avait jamais existé avant, un monde de perfection, à la construction duquel elle tenait à participer avec la plus grande dévotion. » Jean-Luc Seigle.

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