L’expression est insolite, n’est-il pas ? C’est pourtant bien celle que j’ai entendue en fin de matinée dans le bus, à deux reprises et dans un contexte différent. C’est dans cet espace exigu, ouvert à toutes les indiscrétions qu’un adolescent de 14-15 ans conversant avec un autre et calculant le temps qu’il allait mettre depuis l’arrêt auquel il descendrait jusqu’à chez lui, déclara : « J’mets cher du temps ! ». Le mot « cher » semble avoir pris la place d’un autre terme tout aussi incongru, très prisé par les adolescents pendant plusieurs années mais comme tombé en désuétude dirait-on : « grave ». « J’mets grave du temps », « J’mets cher du temps ». En clair, « je mets du temps pour rentrer, la route est longue et cela m’agace ». L’adolescent a le sens de l’ellipse et la créativité débordante pour donner aux mots un tout autre sens que celui que l’Académie française et plus généralement le monde des adultes lui donne. Faut-il s’en inquiéter ? C’est sans doute là le propre d’une langue vivante. Je ne peux cependant pas m’empêcher de penser à la suite. A demain. Lorsque ces mêmes adolescents, devenus étudiants, devront se lancer dans des dissertations, des rapports de stage, où la précision des termes, la richesse du vocabulaire et la structuration de l’argumentation feront la note. Pour donner des cours de français quelques heures par semaine à des étudiants de 18-20 ans, je vois justement les résultats et ils ne sont pas très glorieux. Mais à l’instant très précis où je rédige la fin de ce billet, je crains fort de devoir subtiliser à Philippe Delerm le titre de son dernier livre… Je vais passer pour un vieux con… dans sa version féminine bien sûr, façon vinyle contre numérique !
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