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La grande patience de Bernard Clavel

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Je viens de relire les trois premiers tomes de La grande patience sur les quatre écrits par Bernard Clavel. Magnifique histoire que celle de Julien Dubois. On le découvre d’abord dans La maison des autres, faisant son apprentissage chez un boulanger de Dole à la fin des années 1930. Il a alors 14 ans et ignore tout ou presque de la vie. Malmené par son patron, il apprécie cependant sa nouvelle vie, loin de ses parents restés à Lons-le-Saunier. Entre les corvées de plonge, les clients à livrer à vélo quel que soit le temps et  son métier de pâtissier, c’est tout simplement la vie que Julien Dubois apprend, avec ses moments de camaraderie virile et la découverte de l’amour. Dans Celui qui voulait voir la mer, on retrouve Julien chez ses parents. Son apprentissage est terminé mais la guerre a été déclarée, avec son lot d’incertitudes et d’inquiétudes. Devra-t-il partir pour le front ? Dans ce deuxième tome, Bernard Clavel nous donne plus à voir la vie des parents de Julien que celle de ce dernier, leurs légitimes angoisses en lien avec leur vécu de la guerre de 14-18. Dans le troisième tome intitulé Le cœur des vivants, le lecteur retrouve avec bonheur Julien dans le sud-ouest de la France. Le voilà soldat. Mais soldat en zone libre avec des envies de résistance. Il vit la guerre de manière lointaine. Ce, d’autant plus qu’il tombe éperdument amoureux de Sylvie, promise à un autre.

Reste à lire Les fruits de l’hiver, le quatrième et dernier tome. J’ai pris beaucoup de plaisir à relire cette histoire que m’avait fait découvrir ma grand-mère il y a fort longtemps. L’écriture de Bernard Clavel, ce romancier du terroir, est généreuse, fourmille de détails, faisant surgir des images, des sons et des odeurs dans la tête du lecteur. Lorsque Julien dépanne son patron, à la fin de son apprentissage, en préparant le pain, le chef étant parti à la guerre, le lecteur dose les ingrédients, pétrit avec lui, prépare le four, évalue la justesse de la cuisson et sent l’odeur du pain chaud, à la fois moelleux et craquant. On en aurait presque l’eau à la bouche ! C’est là tout le génie de Bernard Clavel qui, par son style simple et direct, savait toucher le cœur des lecteurs à travers des personnages attachants et réalistes.

Extrait, page 273, dans Celui qui voulait voir la mère. Dans cet extrait, le père de Julien, boulanger à la retraite, se remet à faire du pain dans son ancienne boulangerie, à la demande d’un conseiller municipal. Paris a été déclarée ville ouverte, les Allemands avancent et les Français fuient dans le sud, à pied, à vélo, en voiture, en charrette…

« Il avait empoigné  un paquet de levure que ses mains émiettaient au-dessus du pétrin. Il respira plusieurs fois l’odeur aigre. La mère se pencha pour sentir également. Ils se regardèrent. Le père sourit. Elle sourit à son tour, puis détourna les yeux. Elle apporta l’eau tandis que le père expliquait à Guillemin comment il devait procéder pour soulever un sac, faire sauter la ficelle et vider la farine dans le pétrin. Puis il y eut le crissement des étincelles bleues sur le tableau de l’interrupteur, un long grognement du moteur accompagna le geste du père et son han ! lorsqu’il aida la courroie à faire son premier tour ; enfin le pétrin se mit à tourner seul. Le ronronnement du moteur, le claquement du bras métallique mêlant la farine et l’eau, les battements réguliers de la courroie et la vibration des vitres, tout cela s’ajoutait au grondement sourd du feu. La nuit s’était mise à vivre. » Bernard Clavel.

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