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La vie est brève et le désir sans fin de Patrick Lapeyre

Couverture La vie est brève et le désir sans fin de Patrick LapeyreÉcrire un livre est difficile. Écrire une histoire d’amour plus encore car c’est sans doute le sujet qui a été le plus souvent traité dans la littérature. Dans ces conditions, comment évoquer un tel sujet sans raconter ce que d’autres ont déjà pu écrire, comment faire sien un thème universel, comment exprimer de manière unique, en évitant poncifs, mièvrerie et banalité, ce qui, qu’on le veuille ou non, qu’on en ait conscience ou non, guide nos vies. Patrick Lapeyre réussit fort bien cet exercice périlleux, grâce notamment à la densité qu’il a su donner aux trois personnages principaux de ce roman. Il y a d’abord Louis Blériot. Arrière-petit-cousin de l’aviateur du même nom, il vit à Paris dans un appartement situé au dernier étage d’un immeuble ancien dans le quartier de Belleville. Marié à Sabine, il ne partage plus grand-chose avec elle, sauf peut-être ce vaste appartement qu’ils ont savamment organisé pour que chacun puisse vivre comme s’il était seul. Il y a ensuite Murphy Blomdale, américain vivant à Londres. Antithèse de Louis Blériot. Traducteur d’articles scientifiques et de notices techniques, régulièrement sans le sou, ce dernier est aussi lunaire que Murphy Blomdale, trader, est hyperactif et volontariste. Entre eux deux : Nora Neville, pétillante, fantasque, fragile, rêvant d’incarner de grands rôles au théâtre. Une enfant dans un corps d’adulte délicieusement désirable. L’histoire commence alors que Louis rend une visite à ses parents désormais installés dans le sud de la France. Au volant de sa voiture, il reçoit l’appel qu’il n’attendait plus. Après deux ans d’absence et de silence total, Nora est de retour. Elle vient de quitter Londres et Murphy. Se rendra-t-il au rendez-vous qu’elle lui fixe ?

Beau livre que celui-ci, à l’écriture à la fois exaltée et tout en retenue. J’en suis sortie groggy, un peu comme si j’avais reçu un coup sur la tête.

Extrait, page 28 : « Vous vous appelez comment ? lui demande-t-elle tout à coup en cessant de se balancer.

Blériot, dit-il. Officiellement, c’est Louis Blériot-Ringuet. Blériot, c’est parce que je suis l’arrière-petit-cousin de l’aviateur, et Louis, parce que mon père, ingénieur de l’aéronautique, doit être le seul homme au monde à avoir voulu appeler son fils Louis Blériot. Je vous passe l’histoire de Ringuet. Maintenant je me dis pour me consoler que Louis Blériot-Ringuet, ça sonne un peu comme Ray Sugar Robinson ou Charlie Bird Parker.

On voit que vous êtes modeste, remarque-t-elle en pouffant de rire.

C’était juste pour donner un exemple, mais si ça vous paraît trop long, vous pouvez vous contenter de m’appeler Blériot, comme la plupart de mes amis.

Je préfère Louis, dit-elle sans s’expliquer.

Et vous ? demande-t-il après un temps d’hésitation, comme si elle avait forcément un nom secret.

Nora, répond-elle spontanément, Nora Neville. Je suis anglaise par ma mère et à moitié française par mon père. Je crois que mes ascendants venaient de la région du Havre.

Mademoiselle Neville, dit Blériot d’un ton faussement solennel, je ne connais pas vos parents, mais je les remercie de tout cœur de vous avoir fait naître. Je vous assure que je suis sincère.

Appelez-moi Nora, simplement Nora, lui demande-t-elle en lui retournant son sourire.

En même temps, il ne peut s’empêcher de noter que c’est un sourire différent du précédent, un sourire légèrement pensif.

On dirait qu’elle a vu clair dans son jeu et qu’elle lui sourit avec l’indulgence de celles qui en ont déjà rencontré des dizaines d’autres comme lui et savent très bien ce qu’ils ont derrière la tête.

Il ne lui vient évidemment pas à l’idée qu’il ferait peut-être mieux de céder sa place à un autre. » Patrick Lapeyre.

 

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