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La voix de son maître, France Inter et le pouvoir politique 1963-2012 d’Augustin Scalbert

Les hommes politiques et les médias entretiennent souvent des relations sinon tendues pour le moins confuses. Les premiers sont obnubilés par le fait de contrôler leur image et partant ceux qui la façonnent. Les seconds, bien qu’attachés à leur indépendance, se laissent parfois happés par les premiers, fascinés qu’ils sont par l’exercice du pouvoir. A l’occasion de la décision de Nicolas Sarkozy de rétablir la « tutelle directe de l’Elysée sur le service public audiovisuel » en 2008, pourtant abolie depuis trente ans, Augustin Scalbert, journaliste à Rue89, a souhaité mener l’enquête sur la réelle influence du pouvoir politique sur les medias publics et notamment sur l’une des radios les plus écoutées : France Inter. Son propos ? La radio la plus populaire de France constitue-t-elle, du fait de cette tutelle directe avec l’Elysée, une nouvelle ORTF ? De 1963 à 2012, Augustin Scalbert remonte donc le fil de l’histoire. Et celle-ci est « on ne peut plus intéressante ». Fourni en exemples, ce livre donne à connaître une autre radio parfois animée par des journalistes oublieux de leur éthique, dirigée par des hommes que la proximité avec le pouvoir rend aveugles ou intéressés. S’il est, à mon sens, impossible de trancher et de répondre par oui ou par non à la question que pose Augustin Scalbert, on ressort de la lecture de La voix de son maître légèrement décontenancé, interrogatif et plus que jamais effaré et dégoûté par les agissements des hommes politiques, de droite comme de gauche. Car quand il s’agit d’exercer le pouvoir, l’obédience dont on se réclame n’a plus guère d’importance. Je regrette simplement un léger déséquilibre des différentes parties du livre, Augustin Scalbert ayant beaucoup plus développé les dernières années de la vie de France Inter et les remous qu’ont suscité les licenciements de Stéphane Guillon et Didier Porte que les années 63 à 90.

Extrait, page 65 : « Nommé en 1989 directeur de l’information de Radio France, fonction qui chapeautait à l’époque les rédactions de France Inter et de France Info (…), Ivan Levaï affirme qu’il a été recruté parce qu’il était de la bonne couleur politique. « J’étais, et je suis toujours mitterrandiste ». Levaï a appris de bonne source que l’Elysée avait été consulté. Il a eu d’excellentes relations avec Mitterrand et ses différents Premiers ministres, ce qui lui a permis de jouer les intermédiaires contre le pouvoir et Jean Maheu (P-DG de Radio France de 1989 à 1995), menacé par une grève historique de douze jours en 1990. En sept ans à son poste, Levaï dit n’avoir subi aucune pression. Et une seule intervention. « Un matin, j’étais dans mon bureau quand j’ai reçu un coup de fil de Pierre Bérégovoy ». Le Premier ministre commence ainsi leur conversation : « Je t’appelle, alors on pourrait considérer que c’est une intervention ». C’était pour lui signaler qu’en couvrant la fin d’un mouvement de grève des gardiens de prison, France Inter affirmait que seul un petit nombre des établissements pénitentiaires avaient repris le travail alors qu’il y en avait le double. « Il m’a demandé si je pouvais rectifier. J’ai trouvé que c’était élégant et normal de le faire ». Proche de Mitterrand, Ivan Levaï conserve son poste en 1993, pendant la cohabitation du président socialiste avec Edouard Balladur. Il fait ses valises après l’élection de Jacques Chirac, le 29 mars 1996. « J’ai appris récemment qui avait demandé de me virer, qui avait dressé la liste » dit-il, sans vouloir livrer de nom. » Augustin Scalbert.

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