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Laver les ombres de Jeanne Benameur

Couv Laver les ombres de Jeanne BenameurLéa est chorégraphe. « Par nécessité » apprend-on. Avec son corps, elle est d’une exigence absolue. Tout, chez elle, doit être contrôlé, le moindre geste mais aussi le moindre sentiment. Elle est « un champ de mines », c’est pour cela qu’elle danse. Pour les éviter. A la faveur d’une chorégraphie sur laquelle elle travaille mettant la mère au centre de ses recherches artistiques, dans une quête insatiable de perfection et de beauté, Léa se retrouve face à ce qu’elle n’a jamais voulu voir, face à son enfance, à cette mère mutique et son père absent. Elle décide alors de prendre la route pour aller retrouver sa mère qui habite dans un petit village au bord de la mer, et ce malgré les avis de tempête annoncés à la radio. L’orage gronde aussi chez Léa qui pressent que jamais rien ne sera plus comme avant mais peut-être tient-elle là la clé de sa libération.

Très beau livre que ce Laver les ombres de Jeanne Benameur qui excelle une fois de plus dans la maîtrise du verbe, du mot taillé comme un diamant. Une précision au laser. Alternant des scènes d’aujourd’hui et des années 1940 à Naples, elle construit une histoire d’abord énigmatique et morcelée, que la quête de vérité de Léa finira par dénouer.

Extrait, page 12 : « Ce matin, elle peine. Elle prolonge sa séance d’échauffement. Elle a du mal à se concentrer sur son souffle, à habiter son corps. Vraiment. Alors elle enchaîne avec les Suites de Bach. Le violoncelle étire chacun de ses gestes. Dans cet étirement, l’erreur ne pardonne pas. Tout est amplifié.

Entre l’air et elle, il faut que ça sonne juste. Incorporer l’exigence de chaque note. Totale. Le corps doit trouver sa propre découpe de l’espace. Plus de place dans la tête pour aucune pensée. Sa pensée, c’est la vibration. C’est tout.

La justesse du mouvement justifie son souffle sur terre. Il n’y a pas d’autre façon de vivre. La concentration totale sur chaque vibration d’archet et une absence tout aussi totale à soi-même. Alors seulement quelque chose a lieu.

Elle est en mesure. Elle respire. La peur reflue. Elle continue.

A nouveau, peu à peu, elle entre dans l’espace. Elle y a droit. Alors son temps lui appartient. Et elle, elle appartient au monde. » Jeanne Benameur.

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