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Le chœur des femmes de Martin Winckler

Le choeur des femmes de Martin WincklerIl y a des livres qu’on achète pour la première de couverture parce que l’image nous inspire ou pour la quatrième parce qu’on flaire la bonne histoire, celle qui va nous emmener loin. Il y a aussi des livres qu’on achète juste parce qu’on connaît l’auteur et qu’on lui fait confiance. C’est pour cette raison que j’ai acheté Le chœur des femmes de Martin Winckler. De lui, j’ai lu La Maladie de Sachs, il y a plusieurs années déjà. L’histoire d’un médecin qui se consacre tout entier à ses patients en s’oubliant lui-même. J’avais adoré. J’ai pourtant mis deux ans à ouvrir Le chœur des femmes acheté en 2011. Ce n’était pas le moment. Je crois beaucoup à cela. Il y a des moments pour lire tel ou tel livre. En fait, je suis convaincue que ce n’est pas nous qui choisissons les livres dans lesquels nous nous immergeons mais que ce sont les livres, à leur manière, qui nous choisissent. Pour Le chœur des femmes, entamé samedi dernier, c’était le moment. Un livre magistral tout en humilité, compassion, compréhension, écoute, échange, respect, générosité. Oui, il y a tout cela dans Le chœur des femmes.

Jean Atwood est une jeune interne, brillante, major de sa promo. Son rêve : devenir chef de clinique en chirurgie gynécologique. Avant cela cependant, elle doit passer les six derniers mois de son internat dans le service « Médecine de la femme » dirigé par Franz Karma. Ce dernier est réputé pour exercer une médecine « alternative » c’est-à-dire pas tout à fait dans les canons de ce qui est enseigné aux jeunes étudiants qui, pour beaucoup, se destinent à un exercice de la médecine « noble », de préférence la chirurgie, par opposition au médecin généraliste. Il se trouve que Karma, loin d’être gynécologue, est médecin généraliste. Entre les deux, une tension quasi immédiate prend forme parce que la jeune interne ne voit pas du tout l’intérêt de passer six mois dans ce service, elle, qui est major de promo. Sa fatuité n’a d’égale que la sagesse et l’expérience de Karma. Jean Atwood parviendra-t-elle à laisser de côté son arrogance pour enfin apprendre, au contact des patients et notamment des patientes ?

Le récit est à la fois très bien mené et profondément touchant. On s’énerve contre cette jeune interne qui ne veut rien entendre, on se réjouit lorsque Karma, gentiment, sans aucun désir de revanche, lui glisse ici et là quelques pistes de réflexion quant à son futur métier, on s’émeut devant les témoignages de souffrance de toutes ces femmes qui viennent voir le docteur Karma. Car, comme l’écrit Martin Winckler, médecin-écrivain, si « les personnages, l’unité 77, la ville de Tourmens, son CHU et les événements qui s’y déroulent sont imaginaires, presque tout le reste est vrai ».

A lire absolument.

Extrait, page 60 : « – Merci, docteur, dit la patiente en lui serrant la main. Et en passant devant moi, elle ajoute : « Au revoir et bon courage pour vos études. »

Elle m’a pas bien regardée ? Elle croit que j’au commencé la semaine dernière ?

Je lui fais un sourire poli. Karma la raccompagne puis revient se poster devant moi :

– Des questions ?

Son sourire ostensiblement bienveillant m’insupporte. S’il croit qu’il va me tirer les vers du nez, comme à elles…

– Non. Pas de questions.

– Tout est clair ?

– Tout est clair.

Il a l’air un peu déçu, mais il sourit toujours. Il réfléchit une seconde, puis regagne le bureau, dépose le dossier de la patiente, me désigne les sièges et m’invite à m’asseoir.

Je pose mes fesses au bord du siège. Il s’installe sur sa chaise à roulettes, s’avachit contre le dossier, croise les mains sur son ventre. Il m’a paru grand et mince, presque maigre, tout à l’heure, et voici qu’à présent, il joue les vieux toubibs bedonnants.

– Que pensez-vous apprendre ici ?

Une fois encore, il me prend par surprise. Je ne sais pas quoi lui répondre, j’ai envie de me lâcher, de lui balancer Je ne voulais pas venir ici. Je ne devrais pas être ici. Je ne devrais même pas être encore à Tourmens, bordel ! L’an dernier, en octobre le doyen m’a dit : « Atwood ! Vous avez le profil parfait pour le poste de chef de clinique à la maternité de Brennes, le service d’obstétrique est le meilleur de France. » Mais tout était pris. » Martin Winckler.

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