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Les insurrections singulières de Jeanne Benameur

Couverture les Insurrections singulières de Jeanne Benameur

Issu d’une famille modeste, Antoine travaille à l’usine. Comme son père l’a fait avant lui. Pourtant, il se sent décalé, y compris dans le combat syndical qu’il mène aux côtés de ses collègues face à une entreprise mondialisée qui broie ses salariés comme la meule écrase le blé. De retour chez ses parents à 40 ans, après une séparation amoureuse qu’il le plonge dans des abîmes de réflexion et une souffrance silencieuse, il s’interroge sur son parcours, les chemins de traverse qu’il a empruntés, ses convictions, son être et son devenir.

Beau livre que celui-ci. Je l’ai lu dans une intimité fébrile parce qu’il entraine immanquablement le lecteur dans sa propre histoire. Il le ramène à ses propres choix, à ses idéaux, à l’héritage culturel et familial qui l’a construit, à ses rêves plus ou moins réalisés. Questionnant et dérangeant, Les insurrections singulières est un livre plein d’espoir, un hommage à la vie dans tout ce qu’elle a de plus brut et de plus libre. Un voyage à la découverte de soi et des autres. Assurément un livre singulier.

Extrait, page 143 : « Cette première nuit à Monlevade, je l’ai passée avec le petit carnet noir de mon père. Il était loin le temps où j’étais descendu pour le voler.

J’ai caressé la couverture, le geste que je n’avais pas osé cette nuit-là. Et de sentir la moleskine sous mes doigts, j’ai revu mon père s’installant à la table de la cuisine, la paume de sa main lissant bien la page où il allait écrire, appuyant de la tranche fermement pour maintenir le carnet ouvert. (…)

J’ai ouvert le carnet. Le battement de mon sang dans mes tempes. Au bout de mes doigts. Dans une bouffée, toute la nuit de la maison de mes parents. J’ai respiré lentement. Ce n’était pas des images qui venaient mais des mouvements. Feutrés, réguliers et comme engourdis. Un monde où chaque geste engendre le prochain, tranquillement. Un monde où aucune question ne vient interrompre le lien qui tisse un instant à un autre dans la continuité reposante des jours.

La durée.

Sans à-coup.

Comme si la vie tout entière se tenait là, absolument. Comme si tout pouvait être contenu dans les corps. Comme si la vie n’échappait pas à chaque instant, dévalant les rues et partant loin, loin au-dessus des toits, des rivières, des usines, diffractée en mille sensations éphémères, humaines, pas humaines, dans les fleurs, dans les pierres, dans le ciel. Partout où un corps humain ne l’arrête pas à la limite de sa peau.

Dans la maison de mes parents, la vie était bordée par l’air qui entourait chaque mouvement, circonscrite, sans merveille mais paisible et forte. D’autant plus forte qu’elle s’ignorait.

Un sentiment que je n’avais jamais partagé.

Juste observé. Contemplé à m’en crever les yeux. A ne plus pouvoir.

Je n’y étais pas parvenu.

Je n’y étais pas. » Jeanne Benameur.

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