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Reconnaître le crime de féminicide

Je reproduis ci-dessous le texte que j’ai lu dans Le journal Le Monde du 6 octobre. Un texte bouleversant de douleur contenue et de dignité. Il est signé de la main de Jean-Michel Bouvier, le père de Cassandre Bouvier, battue, violée et tuée à 29 ans, le 15 juillet dernier en Argentine, avec sa compagne de voyage Houria. A ceux qui me demanderaient pourquoi Le kawa littéraire se fait l’écho de ce texte, je répondrais que le combat de Jean-Michel Bouvier me semble juste. J’ajouterais aussi que les femmes sont trop souvent la cible de violences de toute sorte que rien ne peut justifier. Loin de la France mais aussi en France. L’écriture peut être une arme, la lecture aussi quand on s’en fait l’écho.

« Le vendredi 15 juillet, sur les hauteurs de Salta dans le nord de l’Argentine, ma fille Cassandre a été battue, violée et assassinée d’une balle en pleine tête. A la morgue de l’hôpital de Salta, ses grands yeux noirs glacés d’effroi mais pétris d’une détermination tragique comme les nombreuses marques du déchaînement des violences subies par son corps ont pétrifié d’horreur le père, la mère, le frère et la sœur venus là pour honorer une dernière fois sa dépouille et la ramener avec eux en France.

Le lendemain, l’idée s’est imposée en moi que l’enchaînement des actes commis d’abord contre sa liberté de femme et enfin contre sa vie méritait une qualification spécifique ayant les mêmes conséquences juridiques qu’un crime contre l’humanité. Le lendemain, j’ai découvert à l’ambassade de France à Buenos Aires le concept de feminicida commun à l’ensemble de l’Amérique latine. J’avais trouvé l’étendard du combat qui aurait fait la fierté de ma Cassandre.

Inscrire le crime de féminicide dans le droit pénal de mon pays est désormais le Graal de mes vieux jours. L’être humain qui bat, viole et assassine une femme parce qu’elle est femme et qu’il dispose d’un ascendant physique sur elle sera dénoncé comme un barbare et puni à l’égal d’un crime contre l’humanité. Il en sera de même pour tous les êtres humains qui en font de même en réunion.

Je ne suis rien sans l’appui de l’ensemble des femmes et des hommes de bonne volonté et sans celui des organisations qui militent pour les droits humains et contre les violences faites aux femmes. Cassandre n’aimait pas l’injustice et ses conséquences : la pauvreté, la relégation, l’exclusion. Elle aimait chercher ce qui permet aux personnes défavorisées de sortir de leur condition. Elle aimait être solidaire de tous ceux qui souffrent et  agir pour eux.

J’attends des autorités exécutives et législatives du pays qu’elles affirment la nécessité absolue de garantir toujours davantage les droits des femmes et plus particulièrement leurs droits à la liberté et au respect de leur intégrité physique. Le 1er septembre, j’ai demandé au président de la République, de prendre une initiative en ce sens. Bientôt, je saisirai les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale. Lors de la prochaine élection présidentielle, je demanderai aux candidats de prendre position sur le sujet. J’inviterai les électrices et les électeurs à refuser leur suffrage aux candidats qui n’auraient pas pris d’engagement explicite pour l’inscription du crime de féminicide dans le code pénal.

La mort de Cassandre et d’Houria, sa compagne de voyage, est certes un « fait divers », et il est compréhensible qu’il soit balayé. Mais les conditions abominables de leur assassinat sont une négation de la femme qui mérite un écho médiatique constant pour la protection des êtres vulnérables.

Pour soulager ma douleur, j’ai demandé à Cristina Kirchner, présidente d’Argentine, l’édification d’une stèle commémorative sur le lieu même où Cassandre et Houria ont été niées. Lors de son récent séjour en France, elle m’a donné des assurances sur ce point. Dans les rêves les plus fous, j’imagine cette stèle comme l’illustration d’une amitié franco-argentine soudée contre le crime de féminicide. Je l’imagine comme la première d’une série composant une guirlande autour de la Terre pour témoigner du combat inlassable pour défendre la vie des femmes.

Merci, Cassandre, de m’insuffler ta générosité, ton enthousiasme et ton cœur. Houria et toi, vous êtes désormais, pour vos familles des anges inséparables. Vous serez aussi des héroïnes pour toutes les femmes argentines et françaises. Je forme le vœu que vous le soyez aussi pour tous les hommes argentins et français ». Jean-Michel Bouvier.

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