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Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan

Rien ne s'oppose à la nuit-DelphinedeVigan

« Ma mère était bleue, d’un bleu pâle mêlé de cendres, les mains étrangement plus foncées que le visage, lorsque je l’ai trouvée chez elle, ce matin de janvier. Les mains comme tachées d’encre, au pli des phalanges. Ma mère était morte depuis plusieurs jours ». C’est par ses lignes que Rien ne s’oppose à la nuit commence. Un livre qui raconte Lucile, la mère de Delphine de Vigan, qui, par une journée de janvier décide de « tirer le rideau », de « déclarer forfait » parce que la maladie l’a rattrapée, parce que la vie n’a pas toujours été facile pour elle, atteinte de troubles maniaco-dépressifs, parce que trop de choses ont été tues, enfermées à double tour dans la cellule familiale… Une cellule familiale, qui, si elle avait une voix, serait tonitruante tant les êtres qui la composent, essaient, coûte que coûte, d’exister chacun à leur manière, sous les yeux de leurs parents hors de mesure.

Par petites touches, Delphine de Vigan raconte « sa » Lucile, à partir de ses souvenirs, de ce qu’elle a conservé de sa mère mais aussi à partir des fragments de mémoire des frères et sœurs de Lucile, tout en sachant que ce qu’elle donnera à voir de sa mère ne sera qu’une part infime de cette dernière, une part éminemment subjective. Et puis cette question qui ne la quittera pas tout au long de l’écriture : « ai-je le droit d’écrire ceci ou cela à propos de ma mère ? de sa famille ? de ce qu’il s’est passé ? ». Un livre bouleversant, capable de vous tirer aussi bien des larmes de tristesse que de joie, profondément honnête malgré toute la part de subjectivité qu’il comporte, mu par l’amour d’une fille pour sa mère alors même que celle-ci n’a pas toujours été aimante avec elle.

Extrait, page 19 : « Ils terminaient la soupe lorsque Lucile rejoignit la table, les pieds nus et les cheveux mouillés.

– Alors, ma belle, tu as fait des photos ?

Le regard de Georges sur sa fille semblait empreint d’étonnement. Lucile avait quelque chose de sombre qui lui ressemblait. Depuis qu’elle était toute petite, Lucile l’intriguait. Cette manière qu’elle avait de s’isoler, de s’abstraire, de se tenir d’un seul côté des chaises, comme si elle attendait quelqu’un, d’utiliser le langage avec parcimonie, cette manière, avait-il parfois pensé, de ne pas se compromettre. Mais Lucile, il le savait, ne perdait rien, pas un son, pas une image. Elle captait tout. Absorbait tout. Comme ses autres enfants, Lucile voulait lui plaire, guettait son sourire, son assentiment, ses félicitations. Comme les autres, elle attendait le retour de son père et parfois, lorsque Liane l’y encourageait, racontait sa journée. Mais Lucile, plus que tout autre, était reliée à lui. Et Georges ne pouvait détacher son regard d’elle, fasciné. » Delphine de Vigan.

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