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Sauver Mozart de Raphaël Jerusalmy

Couv Sauver Mozart-Raphaël Jérusalmy

Vendredi 7 juillet 1939, Otto J. Steiner, critique musical croupissant dans un sanatorium à Salzbourg pour cause de tuberculose, commence à tenir un journal. Activité qui ne lui est guère coutumière. Il sait qu’il n’en a plus pour longtemps. Le voilà qui se met à noter, quand sa santé ou son moral le lui permettent, son humeur du jour, ce qu’il vit au sanatorium – de l’infâme bouillie de pommes de terre au cabillaud qui lui est servie chaque vendredi aux râles des agonisants – les musiques que son gramophone diffuse et l’avancée des troupes allemandes pour servir le dessein d’Hitler. Au fil de son stylo, il assiste au délitement du monde auquel il croyait. Seule la perspective du festival de musique classique de Salzbourg semble le maintenir en vie. Et si, malgré son état de santé plus que fragile qui ne lui permet pas de quitter le sanatorium pour entrer en résistance contre le pouvoir en place, il prenait les armes d’une autre manière. Et si la musique elle-même devenait une arme cinglante…

Magnifique livre que ce premier roman de Raphaël Jerusalmy, diplômé de l’École nationale supérieure et de la Sorbonne dont une partie de la carrière s’est déroulée au sein des services de renseignements militaires israéliens. Le pari était risqué : écrire une succession de paragraphes, souvent très ramassés, mêlant la « petite » à la « grande » histoire aurait pu susciter un ennui profond. Mais c’est tout l’inverse. Nous voilà respirant mal comme Otto J. Steiner dès lors que son état de santé se dégrade ou reprenant espoir les jours où il se sent mieux, vibrant avec lui au son d’un Caruso ou tremblant de peur lorsque les nazis débarquent au sanatorium à la recherche d’hypothétiques patients juifs. Et quel dénouement ! Quel subtil, inventif et ironique acte de résistance !

Décidément, l’année commence bien !

Extrait, page 52 : « Curieuse visite de Hans qui s’est foulé la cheville au ski. Il était déprimé. La jambe dans le plâtre juste quand il doit s’atteler aux préparatifs du Festival d’été. C’est moi qui ai dû lui remonter le moral.

Il m’a montré une partition pondue par un jeune compositeur. J’ai beaucoup aimé. Vivace, optimiste. Hans ne partage pas mon avis mais le comité culturel lui impose ce morceau au programme du prochain Festspiele. Comme tout le reste, d’ailleurs. Le public y sera en majorité militaire : officiers, héros de guerre, grands blessés. Un seul orchestre, le Philharmonique de Vienne. Böhm, Furtwängler, Lehar tiendront le bâton. Pas Karajan. Décisions prises d’en haut. Pas très réjouissant, en effet. Tous les concerts seront retransmis sur les ondes. Salzbourg sera la capitale du Reich, et de la musique, pour quelques soirs.

Très flatté que Hans m’ait demandé de le seconder dans la rédaction des programmes. Et même de la préface de la brochure officielle. Et puis j’ai compris. Hans a peur. Chaque phrase est épluchée par le comité culturel du Parti. Le moindre dérapage peut lui attirer des ennuis. Moi, je n’ai rien à perdre.

J’ai promis de l’aider. Je lui dois bien ça. Après tout, il est le seul à me rendre encore visite. Et ma locataire. Les autres ont tiré un trait bien vite à mon goût. À leur place, j’aurais probablement fait pareil. (…).

Je comprends le désarroi de Hans. Cette ingérence des nazis dans le programme du Festspiele est inadmissible. Révoltante. Faire du festival un vulgaire outil de propagande, un amusement troupier, c’est un comble. Prendre Mozart en otage. L’avilir ainsi. N’y a-t-il donc personne pour empêcher un tel outrage ? » Raphaël Jerusalmy.

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