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Sur la plage de Chesil de Ian McEwan

Sur la plage de Chesil-Ian McEwan

Dans la prude Angleterre des années 60, un couple, marié depuis quelques heures seulement, se retrouve enfin seul, dans la chambre d’hôtel qu’ils ont réservée pour leur nuit de noces. Tous deux s’aiment d’un amour profond et sincère et sont à la fois impatients et anxieux à l’idée de cette nuit que chacun a déjà imaginée, fantasmée. Une nuit qui changera leur vie à jamais.

Saisissant portrait d’une époque, d’un milieu et de deux êtres terriblement mal à l’aise dans ce moment – dilaté jusqu’à l’extrême – où, selon les croyances culturelles et sociétales, chacun doit savoir tenir son rôle sans jamais avoir réellement reçu de consignes de qui que ce soit. Les yeux dans les yeux, Edward et Florence se contemplent d’abord, tentant de donner le change, chacun envahi par des pensées que Ian McEwan va restituer aux lecteurs, avec une précision et une finesse d’analyse incroyables. Jusqu’au coup de théâtre.

Beau roman sur l’incapacité de dire et d’agir qui souligne aussi, sans en faire une généralité, la conception très différente de l’acte amoureux, selon le point de vue, masculin ou féminin.

Extrait, page 94 : « Dans la chambre, les fenêtres étaient grandes ouvertes sur la même vue : la pelouse de l’hôtel, les bois et la mer. Un changement de marée ou de vent, à moins que ce ne fût le sillage d’un bateau, leur apporta le son de plusieurs vagues qui se brisèrent en rafale, giflant la grève. Puis, tout aussi vite, elles se remirent à murmurer, à rouler doucement leurs galets. Elle lui enlaça le coup. « Tu veux que je te confie un secret ? – Oui ». Elle lui prit le lobe de l’oreille entre le pouce et l’index, attira tendrement sa tête vers elle et lui souffla : « En fait, j’ai un petit peu peur. »

Ce n’était pas totalement exact, mais, malgré sa finesse, jamais elle n’aurait pu décrire l’éventail d’émotions qu’elle éprouvait : une brusque sensation de rétrécissement, une répugnance généralisée pour ce qu’elle risquait d’avoir à faire, de la honte à la perspective de le décevoir et d’être percée à jour. Elle se détestait, et elle eut l’impression que les mots qu’elle lui chuchotait sifflaient dans sa bouche comme ceux d’un traître de mélodrame. Pourtant, mieux valait avouer sa peur que son dégoût ou sa honte. Elle devait faire tout ce qui était en son pouvoir pour limiter les attentes d’Edward ». Ian McEwan.

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