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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye

Récompensé par le prix Goncourt en 2009, le livre de Marie Ndiaye narre le combat de trois femmes pour garder la tête haute. Si Norah, Fanta et Khady ne se rencontrent pas dans ce livre (et pour cause, puisque ce sont trois histoires différentes qu’a choisies de nous raconter Marie Ndiaye), elles ont cependant beaucoup de choses en commun. D’abord les lieux où elles vivent, entre France et Afrique. Ensuite leur lutte contre les humiliations que la vie leur inflige. Enfin cette force intérieure à la source de laquelle elles vont puiser pour rester debout, dignes quoi qu’il arrive. Avocate exerçant en France, Norah est appelée par son père qui vit en Afrique. Ce père qu’elle n’a que très peu connu puisqu’il les a abandonnées, avec sa sœur et sa mère, les séparant de leur petit frère, il y a plusieurs décennies. Il a des « choses importantes et graves » à lui dire. Ce retour aux sources est pour Norah une plongée douloureuse et amère, qui la met face à elle-même et à ce père imbu de sa personne et méprisant. Arrivera-t-elle à surmonter la haine qu’elle lui porte ? Fanta vient elle aussi d’Afrique. Elle vit depuis plusieurs années dans le sud-ouest de la France avec son fils et son compagnon, Rudy. Le lecteur n’apprend à connaître Fanta que par la bouche de ce dernier qui lui voue un amour étouffant et destructeur, coincé entre une mère possessive et un père décédé avec un lourd secret. Quant à Khady, rejetée par sa belle-famille après la mort de son mari avec qui elle n’a pas réussi à avoir un enfant, elle tente de s’embarquer vers l’Europe. Un parcours qui la mènera jusqu’au bout d’elle-même.

C’est un beau livre que nous offre Marie Ndiaye même si son écriture est parfois déroutante parce que sinueuse, enchevêtrée dans un foisonnement d’adjectifs et de virgules qui a pour effet de perdre le lecteur, à bout de souffle, comme dérivant sur une embarcation de fortune. Les arbres, les oiseaux et la chaleur de l’Afrique y ont une belle place décrivant un monde à la fois onirique et mystérieux dans lequel les sentiments sont violents.

Extrait, page 256 : «  Parce que leur fils unique l’avait épousée en dépit de leurs objections, par ce qu’elle n’avait pas enfanté et qu’elle ne jouissait d’aucune protection, ils l’avaient tacitement, naturellement, sans haine ni arrière-pensée, écartée de la communauté humaine, et leurs yeux durs, étrécis, leurs yeux de vieilles gens qui se posaient sur elle ne distinguaient pas entre cette forme nommée Khady et celles, innombrables, des bêtes et des choses qui se trouvent aussi habiter le monde.

Khady savait qu’ils avaient tort mais qu’elle n’avait aucun moyen de le leur montrer, autre que d’être là, dans l’évidence de sa ressemblance avec eux, et sachant que cela n’était pas suffisant elle avait cessé de se soucier de leur prouver son humanité. Elle écouta donc sans rien dire, détaillant alternativement les jupes imprimées de ses deux belles-sœurs assises sur le vieux canapé de part et d’autre de leurs parents et dont les mains reposaient entre les cuisses paumes en l’air, empreintes d’une ingénuité, d’une fragilité qui n’étaient pas dans le caractère de ces femmes mais qui dénonçaient soudain  pour Khady celles de leur mort, qui anticipaient et dévoilaient la vulnérabilité innocente de leur figure lorsqu’elle seraient mortes, et ces mains sans défense ressemblaient tant à celles de son mari, le frère de ces deux femmes, quand la vie d’un coup l’avait quitté, que Khady en eut la gorge serrée ». Marie NDiaye.

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