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Un bon fils de Pascal Bruckner

Couverture Un bon fils de Pascal Bruckner

Le bon fils, c’est Pascal Bruckner en personne. Lui qui n’a jamais aimé les autobiographies a finalement écrit la sienne, sur l’invitation de son éditeur, au sortir de l’église le jour des funérailles de son père en 2012.

Pascal Bruckner est né dans une famille franco-allemande, trois ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, « dans ces semaines où les derniers prisonniers de guerre allemands quittèrent les camps d’internement français », la même année que celle du décès du médecin personnel du Führer. Pourquoi cette précision puisque nombre de personnes sont mortes en 1948 ? Parce que Pascal Bruckner a très vite compris que son père vouait un culte au IIIe Reich et son représentant. Quand d’autres ont tout fait pour échapper au STO, lui s’est spontanément présenté pour servir l’Allemagne. C’est ainsi qu’il travaillera chez Siemens, alors fournisseur de matériel militaire, pendant plusieurs années et qu’il se cachera dans le Tyrol pour échapper aux troupes alliées qui le recherchaient. Son antisémitisme notoire – qui a perduré toute sa vie – s’est accompagné d’insultes et de violences physiques récurrentes à l’égard des membres de sa propre famille, au premier rang desquels sa femme, la mère de Pascal Bruckner. Protégé par sa mère, ce dernier dit devoir sa vie à la tuberculose, qui l’a éloigné du foyer familial pendant plusieurs années.

Le récit de la vie de Pascal Bruckner est bouleversant, à peine croyable même lorsqu’on a grandi dans un univers sain, sans violence ni insultes. Le plus touchant réside, selon moi, dans le fait que l’écriture de Pascal Bruckner n’a rien de haineux. Oui, il a détesté son père, il a même souhaité sa mort plus d’une fois. Il aurait pu lui ressembler mais il a pris le contre-pied et a tenté de s’élever quand son père aurait voulu faire de lui un bon germanophone, sensible aux idées du IIIe Reich. La lecture et l’écriture l’ont aussi sauvé, lui ont ouvert l’esprit quand tout était fermé autour de lui. Le plus fort ? Il n’a jamais coupé les ponts avec son père et l’a même accompagné jusqu’à son dernier souffle, dans la compassion. « Je suis sa défaite » dit Pascal Bruckner, ancien élève de Jankélévitch, Barthes, jumeau spirituel d’Alain Finkielkraut.

Extrait, page 92 : « Un matin, je devais avoir douze ans, j’étais arrivé en pyjama au petit déjeuner en marchant au pas de l’oie, le jarret bien à la verticale de la hanche, éructant des syllabes gutturales, tout fier de mon imitation. Mon père m’en retourna une et je dus filer à la cuisine. Ma mère vint me consoler : « Ton papa a des soucis. » Il n’aimait pas qu’on se moque du Führer, il n’avait jamais pardonné à Charlie Chaplin son film Le Dictateur. Il avait commis une erreur de diagnostic fatale. Il s’était jeté dans les bras de la brute blonde avec entrain et ne récusa jamais ce choix. Il ne se remit pas de la reddition allemande, les 8 et 9 mai 1945, qu’il attribua à un complot judéo-bolchévique : le Juif agissait sous le double atour du capitalisme anglo-saxon et du communisme soviétique. S’il parvenait à cacher son dépit en public – la juiverie internationale lui mettait un mors dans la bouche, disait-il -, il se rattrapait en privé. C’était comme une purge verbale, un égout de mots qu’il nous infligeait. Cela lui sortait à tout moment. Il devait exprimer son aversion quotidiennement. Mais l’égout n’évacuait jamais assez. » Pascal Bruckner.

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