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Un secret sans importance d’Agnès Desarthe

Couverture Un secret sans importance d'Agnès DesartheÉtrange livre que celui-ci. Étrange parce qu’on ne sait ni où l’histoire se passe, ni quand. Étrange parce qu’Agnès Desarthe, avec des mots d’une poésie infinie, nous plonge dans un univers onirique, à mille lieues des livres que j’ai pu lire ces dernières semaines, sauf peut-être La vie est brève et le désir sans fin de Patrick Lapeyre. Étrange enfin parce que chacun des personnages dont il est question ici semble vivre sa propre histoire, en dehors du roman lui-même, comme si Agnès Desarthe avait réussi à donner une telle vie à ses personnages qu’on s’attendrait à les voir jaillir des pages et s’asseoir à nos côtés. Il y a Dan et Sonia. Cette dernière souffre d’un cancer et n’en a plus que pour quelques semaines, jours, heures. Elle le sait, s’y est préparée et attend avec douceur et sérénité, voire de la joie, sa délivrance, le passage de l’autre côté du miroir. Dan, lui, éperdument amoureux de sa femme, ne sait plus ce qu’il faut faire, ne sait plus lui dire qu’il l’aime. Il y a Émile, ami de toujours de Dan, qui n’a jamais vraiment su communiquer avec Sonia. Entre lui et Dan, une amitié fidèle et solide qui se passe de mots. Émile rend visite à Violette, sa voisine, chaque matin à 9 heures juste avant d’aller travailler. Violette a l’apparence physique d’une enfant. Elle sort de l’hôpital psychiatrique et apprécie, sans oser se l’avouer, les visites d’Émile. Enfin, il y a Gabriel. Jeune étudiant en linguistique, brillant, il enregistre les conversations d’inconnus saisies dans la rue, au square, au bistrot… Mais que cherche-t-il précisément ? Sa mère qui est morte trop tôt ? Le père qu’il n’a jamais connu ? Tous sont à la recherche d’un idéal perdu ou rêvé. Étrange roman. A lire en se laissant porter par la poésie et le caractère quelque peu mystique de l’écriture d’Agnès Desarthe.

Extrait, page 124 : « Il est dit que le fœtus, dans le corps de la mère, connaît tout des mystères du monde. Lorsqu’il naît, un ange lui pose un doigt sur la bouche. Le visage de l’enfant en porte la trace. C’est un léger sillon entre la lèvre supérieure et le nez. Ce geste n’a pas pour seule vertu de faire taire le nourrisson, il permet aussi au bébé de tout oublier. Car, si l’on ne commence pas par oublier, on ne peut rien apprendre. Sonia s’était souvent représenté cette scène. Cependant, il lui semblait que, pour certains individus, l’ange ne s’était pas contenté de poser son index sur les lèvres tendres, il avait appuyé bien fort, histoire d’éviter les embêtements. Ceux qui portaient cette empreinte plus profonde, les idiots, les naïfs, les humbles, en savaient plus long. Aux insolents, aux prétentieux, on n’avait pas pris la peine d’administrer un remède aussi puissant. Gabriel ne savait rien, mais parce que l’ange avait bâclé son travail, le jeune homme croyait avoir un ascendant sur ses semblables. Sonia détailla son menton, puis ses lèvres, et constata que le sillon situé entre son nez et sa lèvre supérieure était à peine visible. Ça ne manquait pas de charme, d’ailleurs mais c’était un signe funeste. Dans son cas à elle, il en allait tout autrement. Revendiquant sans triomphalisme son appartenance à la catégorie des idiots, des naïfs et des simples, elle percevait toutefois que la cicatrisation commençait à faire son office. A mesure que la mort approchait, le sceau s’effaçait  et, peu à peu, elle entrait en contact avec les puissances occultes. Vivre en sainte et mourir en sorcière, quel drôle de destin. » Agnès Desarthe.

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