Voilà un livre bien différent de ceux que j’ai lus jusqu’à maintenant de Jeanne Benameur. Dans ça t’apprendra à vivre, le deuxième livre que cette dernière a publié, c’est une petite fille qui parle. De son enfance en Algérie, de sa « mixité » – moitié arabe, moitié italienne -, de son exil forcé à La Rochelle au moment où le conflit franco-algérien débute, du manque de tendresse de sa mère qui ne sait que crier, de la froideur de son père et du mystère qu’il dégage. Et puis, il y a aussi l’univers dans lequel elle évolue. L’enceinte d’une prison puisque son père en est le gardien et à ce titre, y est hébergé, avec sa famille. Une vie cloîtrée de l’intérieur. Une vie étouffée où l’expression des sentiments n’a pas sa place.
J’ai d’abord été déroutée par cette forme d’écriture, celle d’une enfant d’à peine six ans. Peu à peu néanmoins, je m’y suis faite et je me suis laissée happer par l’histoire de cette petite fille esseulée dans une famille de quatre enfants. Ses interrogations sont devenues les miennes comme ses souffrances ou ses petites joies. Jeanne Benameur réussit à merveille à rendre accessible l’univers de l’enfance et comme toujours son écriture est d’une précision d’orfèvre.
Extrait, page 47 : « Maman, je n’en peux plus de t’appeler en silence. Je t’appelle partout et je ne sais même pas que je t’appelle. Je t’appelle du fond de moi. Tu ne peux pas m’entendre.
Assise à la cuisine, je ne te regarde pas mais je te vois, dans mon œil, à gauche. Je n’ose pas t’appeler en vrai. Je voudrais que tu me parles.
Tu vaques en face de la cuisinière ou bien tu vas à l’évier, dans le couloir. C’est pas commode, cet appartement, en France, tu n’arrêtes pas de le dire. Toi, tu rêves d’un lieu moderne, avec un évier à deux bacs et des pièces moins vastes, sept mètres sur quatre pour la moindre chambre, on n’en finit pas de faire le ménage ici !
Tu reviens toujours à la cuisinière. C’est ton espace, ton autel exigeant.
Tu l’allumes dès le matin. C’est toi la première levée. Le bruit du tisonnier qui t’aide à ouvrir la plaque de fonte et puis qui fourrage dans le foyer, qui tape contre les bords. C’est toi qui mets en route la maison par les bruits. Ceux de la cafetière, ensuite des portes du buffet. Tu prépares tout.
De mon lit, je t’entends monter l’escalier jusqu’au premier.
Ton pas est lourd mais il est plus rapide qu’en fin de journée quand tu fais peser ta fatigue, le pied bien à plat sur chaque marche, que tu nous l’appliques dans les oreilles, là ! c’est pour vous que j’me suis fatiguée comme ça !
Tu entres dans la chambre. Ta main sur mon épaule, ton souffle dans le creux de mon oreille, tu me réveilles. Je n’ouvre pas les yeux. Le cou rentré, la tête enfouie, l’oreille cachée sous la couverture, je n’ouvre pas les yeux encore. » Jeanne Benameur.