Il ne sait pourquoi ni comment cela s’est propagé mais toujours est-il que des personnes de tout horizon l’appellent pour lui demander de les assister dans leur mort. En souvenir d’André. Mais avant cela, il les écoutera narrer leur vie, ce dont elles sont fières et surtout moins fières, ce qu’elles ont compris de ces années passées, entre le masque social qu’elles ont revêtu par nécessité et leur être profond.
Avec humanité et parfois provocation, Martin Winckler aborde le thème, ô combien controversé, du suicide assisté. Le rythme est haletant, la chute inattendue, l’écriture sans fioritures. Comme dans ses précédents livres, Martin Winckler en profite également pour dénoncer une pratique de la médecine trop centrée sur la pathologie et pas assez sur l’humain.
Un livre qui se dévore en trois heures et qui, malgré son thème, grave et profond, ne plombe pas le moral. Au contraire !
Extrait, page 41 : « À l’Unité de la douleur, on recevait des femmes et des hommes qui souffraient. Tout le temps. Depuis longtemps. De tous les côtés. Beaucoup avait des douleurs qui n’avaient jamais été étiquetées, jamais été identifiées. Leurs médecins n’y pouvaient rien et leur avaient dit parfois que c’était dans leur tête.
On ne leur avait pas appris que dans la tête, il y a le cerveau ; que la douleur, le cerveau la perçoit et, parfois, la produit. Quand les gens disent qu’ils ont mal, ils ont mal. Dire que « c’est dans leur tête, c’est dire : « Vous avez mal parce que vous avez mal. »
Autant leur donner un coup de marteau.
J’ai appris à manier les antalgiques mineurs et la morphine. Les opioïdes synthétiques. Les anesthésiques locaux et généraux. Les neuroleptiques, les antidépresseurs, les myorelaxants et les alpha-adrénergiques. Les blocs plexiques et les neurolyses. Les péridurales.
J’ai appris à analyser les douleurs chroniques ; à identifier l’origine des douleurs projetées ; à apprivoiser les douleurs fantômes. J’ai appris à employer le placebo, la relaxation, l’hypnose, les gestes, la parole.
Les gestes qui atténuent l’angoisse.
La parole qui, sans donner de faux espoirs, aide à s’ancrer dans la réalité.
J’ai appris à apaiser la douleur des autres.
Pas trop : sans les endormir, sans les empêcher de se sentir vivants.
Mais en les aidant à ne plus ressentir ces cris des profondeurs qui éventrent et qui arrachent.
À ne plus être dans la douleur totale, qui empêche de ressentir quoi que ce soit d’autre. Qui empêche de penser. De sourire. D’être présent au monde.
J’ai beaucoup travaillé. Bien, je crois.
Mais ça ne me suffisait pas. » Martin Winckler.