Quand elle arrive à Ravensbrück en 1944, Mila a vingt ans. Elle est enceinte. Est-ce un gage de survie ou une condamnation à mort dans ce camp où plus de quarante mille femmes sont détenues ? Et pourquoi y a-t-il une kinderzimmer c’est-à-dire une chambre pour enfants dans ce lieu où l’être humain n’est plus qu’un numéro, une masse de cheveux que l’on récupèrera, quelques grammes d’or volé dans sa bouche ou sur ses mains ?
Il y a longtemps que je n’avais pas lu un livre aussi poignant à l’écriture « virtuose » comme l’indique la quatrième de couverture. Inspiré d’une histoire vraie, il ne cache rien de l’enfer des camps de concentration – la faim, le froid, les excréments partout, le décharnement du corps, la violence physique et verbale – jusqu’au haut-le-cœur. Mais il raconte aussi l’espoir, malgré tout, les amitiés improbables qui se tissent, les raisons de vivre que chacune se trouve. Le rythme est haletant voire oppressant. Et toujours cette même question une fois le livre refermé : comment cela a-t-il été possible ?
Extrait, page 106, Mila se questionne beaucoup sur sa grossesse et l’enfant à venir, son environnement familial ne l’ayant pas préparé à cet événement : « Les seins se tendent et ne gonflent pas, gourdes sèches, c’est une drôle d’expérience que ce tiraillement qui n’a pas de forme. Georgette dit que le lait se fabrique, Mila se demande bien où, quelle poche du corps le stocke : ses côtes roulent sous ses doigts. Si elle a bien compté, le terme est dans un mois, à la fin de septembre. Elle se demande de quoi elle accouchera vu sa minceur : un bébé chat ? une salamandre ? un petit singe ? Comment savoir si ce qui vient est un vrai enfant ou un produit de Ravensbrück, une masse pas regardable couverte de pus, de plaies, d’œdèmes, une chose sans gras ? Elle n’ose pas en parler à Georgette, moins encore à Teresa : elle n’éprouve nul amour, nul désir, seule l’idée d’un espace dérobé à la vue des SS l’émeut un peu. Comment naît la tendresse ? Pendant la grossesse ? Avant l’accouchement ? Est-ce que la vue de l’enfant la déclenche ? Y a-t-il une évidence de l’amour maternel ou est-ce une invention patiente, une volonté ? » Valentine Goby.