Née en 1868, Alexandra David-Néel est morte à 101 ans dans sa maison de Digne, non sans avoir, six mois avant sa mort, demandé très officiellement au préfet des Basses-Alpes le renouvellement de son passeport ! Car cette femme au caractère bien trempé voire épouvantable a passé sa vie à voyager en Inde, en Chine, au Japon, en Corée, en Mongolie et surtout au Tibet. En avance sur son époque – elle refusait catégoriquement le rôle de femme au foyer -, elle n’a eu de cesse d’étudier les différentes religions monothéistes et s’est passionnée pour le bouddhisme et la méditation qu’elle a pratiquée avec beaucoup de ferveur. Première femme européenne à séjourner à Lhassa au Tibet en 1924, Alexandra David-Néel laisse une bibliographie fournie et détaillée, fruit d’années d’observations et de prises de notes. Une citation issue de L’Écclésiaste, la Bible hébraïque, a accompagné cette journaliste, écrivaine, chanteuse d’opéra, orientaliste, tibétologue, tout au long de sa vie, dans les moments difficiles comme dans les moments heureux : « Marche comme ton cœur te mène et selon le regard de tes yeux ».
Sa maison de Digne, rebaptisée Samten Dzong, est devenue un musée qui, comme tout musée qui se respecte, se visite. Jennifer Lesieur nous livre un travail fouillé, précis et plaisant à lire, bâti sur la lecture et l’analyse de l’ensemble des ouvrages écrits par Alexandra David-Néel ainsi que sur sa correspondance. Du beau travail !
Extrait, page 37 : « Pour aller en Inde, une seule voie possible : traverser la baie de Tuticorin. Alexandra embarque un soir à bord d’un petit vapeur, « une coque de noix » peu engageante où « une cohue d’indigènes était empilée » sur le pont. Des quatre passagers qui ont le luxe d’une cabine, trois sont des missionnaires. La traversée dira-t-elle plus tard, restera son pire souvenir de voyage… Dès les premières minutes,une tempête se lève, le bateau tangue avec force. Impossible de servir un dîner : du thé et des toasts sont distribués, qu’Alexandra avale bravement tandis que les missionnaires partent cacher leur nausée. Elle finit à son tour par rentrer dans sa cabine en s’accrochant où elle peut. Une fois la parte fermée, elle voit avec horreur une foule de rats, d’araignées, de cafards chassés des cales par le roulis, parcourir le sol, grimper sur les meubles, s’accrocher au bas de sa robe… Elle retourne dans la salle à manger et entend des hurlements. L’équipage a enfermé les passagers du pont pour les empêcher de passer par-dessus bord. Comme ils se débattaient, paniqués, ils ont cloué la porte. Vermine, cris, houle en montagnes russes ont raison du calme d’Alexandra qui s’enferme pour de bon dans sa cabine. Le cauchemar dure jusqu’à l’arrivée à Tuticorin. Aucun port n’aura été plus ardemment attendu. Une fois qu’elle a posé le pied sur la terre ferme, l’éprouvante croisière quitte son esprit. Cette terre la bouleverse déjà. ». Jennifer Lesieur.