Les critiquesLes extraits

Entre ciel et terre

Entre ciel et terre de Jon Kalman Stefansson

Très beau roman que celui de Jon Kalman Stefansson qui nous emmène au XIXe siècle, au large de l’Islande, sur une fragile embarcation depuis laquelle des pêcheurs jettent leur filet. A bord, des hommes marqués par la vie en mer, aux visages creusés par le sel, burinés, que le vent, le soleil et le froid n’effraient plus. Deux jeunes hommes semblent pourtant différents. Pêcheurs plus par nécessité que par goût, leur vie est ailleurs. Dans les livres et la poésie, notamment celle de John Milton dans Le Paradis perdu. L’un d’eux, Barour, est tellement occupé à apprendre par cœur des passages entiers de ce livre qu’un vieux pêcheur aveugle lui a prêté qu’il en oublie de prendre sa vareuse, le jour d’un départ en mer. Si la météo est clémente au moment du départ, elle ne tarde pas à se dégrader… jusqu’à l’impensable. Et c’est un linceul que son ami ramène à terre. Fou de douleur, il s’empare du livre avec la ferme intention de le rendre à son propriétaire et d’en finir avec lui-même ensuite. Tournant le dos à la mer, son retour au village sera un long périple, initiatique, avec au bout du chemin deux mots qui prendront tout leur sens : amitié et loyauté.

Extrait, page 45 et 46 :

« Qui pose sa capuche

Emplie d’ombre

Sur toute chose,

Tombe le silence,

Déjà se lovent

La bête sur son lit d’humus

L’oiseau dans son nid

Pour le repos nocturne.

Barour avait été le dernier à sortir. Plongé dans le recueil de l’Anglais aveugle qu’un pasteur pauvre avait recomposé en islandais à ses heures perdues, il lit une nouvelle fois la strophe, ferme les yeux l’espace d’un instant et son cœur se met à battre. On dirait que les mots sont encore capables de toucher les gens, c’est incroyable, peut-être que, malgré tout, il subsiste quelque espoir. Mais voici qu’arrive la lune qui vogue lentement à l’intérieur d’une trouée sombre entre les nuages, ses voiles toutes gonflées de lumière blanche, à peine un demi-croissant qui monte sur la gauche, pourtant la nuit s’éclaire un instant. La lumière de la lune est d’une autre nature que celle du soleil, elle obscurcit les ombres, donne du mystère au monde. Le gamin lève les yeux et la regarde. Il lui faut autant de temps pour tourner sur elle-même qu’autour de la Terre, voilà pourquoi nous voyons toujours le même côté, elle est à environ trois cent mille kilomètres, il faudrait une éternité pour s’y rendre sur une barque à six rames, même Einar trouverait la distance suffisante ». Jon Kalman Stefansson.

Et comme la vie fait parfois bien les choses, Zoé Varier, sur France Inter, dans son émission Nous autres, a consacré hier soir son émission à Jon Kalman Stefansson et à L’Islande.

Voici le texte introductif de l’émission : « Debout sur la nuit du monde.  Entre ciel et terre, la mer, changeante, noire comme la pierre de lave, ou verte comme la mousse qui pousse. Debout sur la nuit du monde. Entre ciel et terre, la poésie, les mots,  qui nous consolent et nous aident à vivre.

Ce jour là, j’étais au bout du monde, là où la terre s’arrête, un autre Finistère, j’étais au  phare de Reykjanes à 50 kilomètres de Reykjavik. Avec moi, debout sur la nuit du monde, face à la mer, dans le vent glacé, Jon Kalman Stefansson, un des plus grands écrivains islandais, un grand poète et à ses côtés son traducteur fidèle Eric Boury.

« Entre ciel et terre » c’est le titre d’un de ses romans, une histoire de pêcheurs à la morue, une histoire de marin perdu, épris de poésie, hanté par le paradis perdu de John Milton qui en oublie sa vareuse et meurt de froid.

J’avais demandé à Jon Kalman de choisir un lieu où m’emmener pour me parler du paysage de l’Islande, de la nature, de son mystère, de cette terre impossible, qui fume, gronde, jaillit, tremble, de cette beauté dure et violente, il me semblait que seul un poète pourrait mettre les mots. Entre ciel et terre, ce soir, une heure lente, loin du grésillement du quotidien, loin de la crise, une heure face à la mer, dans le vent, au bout du monde, sur un champ de lave avec le poète Jon Kalman Stefansson ».

Pour écouter l’émission, c’est par là : emission-nous-autres-islande-1ere-partie-entre-terre-et-litterature-rencontre-avec-jon-kalman-stefan

Articles similaires

La photo de la semaineLes extraits

Demain

Je reproduis ci-dessous un texte d’Anne-Marie Royer-Pantin, extrait de son livre L’art des instants heureux. Un texte d’une grande douceur, à la fois poétique et empli de promesses. « Demain sera…
Lire la suite