Exécuter des contrats. C’est ce que fait Marnie à longueur d’années. Trois à quatre par an. Pas plus. Il faut dire que ses contrats sont particuliers. Son job consiste en réalité à envoyer de vie à trépas des personnes en fin de vie sur commande d’une tierce personne, en règle générale une famille, qui souhaite abréger les souffrances d’un proche. Marnie vit bien, vend ses services assez chers et ne se pose pas trop de questions d’ordre éthique. Elle a été élevée pour tuer. Jusqu’au jour où le cadavre encore chaud de l’une de ses victimes disparaît et où Marnie retrouve le commanditaire dans une mare de sang, le corps atrocement mutilé.
Si vous avez besoin d’un peu de douceur et de sérénité en ce moment, ne lisez pas Kadogos. Christian Roux – qui s’est fait connaître du grand public avec Braquages, prix du Premier polar SNCF en 2002 – nous emmène dans une aventure au rythme effréné, par endroit assez « gore », où les « méchants » ne sont pas forcément ceux qu’on désigne, où l’amoralité n’est pas forcément là où les bien-pensants aimeraient qu’elle soit. Christian Roux aborde aussi un sujet dont les medias parlent peu au « 20 heures » : les enfants-soldats, ceux qu’on nomme aussi les kadogos, sur fond de génocide rwandais. Embrigadés par des factions militaires, ils sont dressés pour tuer, piller, violer sans le moindre questionnement car, s’ils refusent, le pire les attend. Mieux vaut tuer qu’être tué après de longues heures voire des jours de torture. Un polar noir donc, très noir, à l’écriture efficace, sans fioritures, et des personnages bien plantés, de Marnie à l’officier de police Eustache Lerne, qui, malgré ses nombreuses années passées dans les tréfonds de la ville à côtoyer les dealers, les drogués, les prostituées, les meurtriers mais aussi les criminels en col blanc ne s’habitue pas. Un flic sensible qui se range plutôt du côté des sans-droits et qui n’hésite pas à contredire sa hiérarchie, souvent frileuse.
Kadogos est le sixième roman de Christian Roux. Sa construction est particulière puisque, dans une note introductive, l’auteur invite ses lecteurs à lire le roman « du premier mot en haut à gauche au dernier en bas à droite », de manière classique, ou de découvrir l’intrigue dans l’ordre chronologique des événements en commençant par le chapitre 1… qui se trouve en page 27, le chapitre 8 se trouvant en page 19. Mention spéciale également à toutes les références musicales qui ponctuent ce roman, de Bartok à Joe Dassin.
Extrait, page 136 : « Eustache traversa la ville encore endormie pour rejoindre la nationale 10. Il aurait fallu qu’il appuie un peu plus fort sur le champignon, mais il n’arrivait pas à se précipiter vers le carnage qu’on lui avait décrit. Il ne comprenait pas pourquoi le sort s’acharnait ainsi contre lui. La radio lui rappela qu’il n’avait néanmoins pas à se plaindre. Guerre en Irak, guerre en Tchétchénie, guerre(s) dans la région des Grands Lacs, en Afrique, où trois millions de personnes avaient trouvé la mort depuis la fin du génocide rwandais, ce qui semblait beaucoup moins préoccuper les instances internationales que le conflit israélo-palestinien. Le Darfour occupait lui aussi les antennes. Hommes étripés, femmes violées, tribus décimées… Eustache se souvint des paroles de Marine Jordan, comme quoi ce qui en Europe occidentale passait pour complètement extraordinaire, voire irréel, constituait dans d’autres parties du monde le lot quotidien de millions de personnes. Et si c’étaient des éclats de ces guerres qui venaient exploser jusqu’ici, au sein d’une de ces démocraties plus ou moins pourvoyeuses de massacres ? » Christian Roux.